jeudi 28 février 2013

Le retour de la vengeance des Infiltrés (partie 2)

Retrouvons donc la suite des aventures de nos journalistes infiltrés au pays des laboratoires pharmaceutiques.

Le fameux labo X prépare la sortie d'un autre médicament, contre une maladie neurologique cette fois. (Alzheimer? Parkinson? SEP? Cette fois je n'ai pas retrouvé de quel médicament on parlait.)
En tout cas, le médicament, qui vise encore une fois les malades "captifs", devra donc être pris tous les jours pendant toute la vie, et coûte la bagatelle de 2000 euros par mois de traitement. L'ASMR a été cotée à 4 par la HAS.
Lors des études pré-commercialisation, 90% des patients ont présenté au moins un effet indésirable. QUATRE VINGT DIX POUR CENT!!! Dont 2 décès.
Le remboursement a été refusé en Grande-Bretagne, mais autorisé en France. (Labo français? Patriotisme économique?)

Bref, le labo présente donc sa molécule dans un congrès de neurologie. En fait de congrès, il s'agit d'un symposium organisé par le laboratoire. Annonçons la couleur: un symposium, c'est de la publicité, pas de l'EBM (pour Evidence-Based Medicine ou Médecine Basée sur les Preuves).
Le labo paye donc à déjeuner à 400 neurologues.

Quelques semaines plus tard, on en est déjà à 7 décès suspects. On parlait de risque de malaises et de bradycardies, on récolte des morts subites.

Conclusion du journaliste: "Pourquoi les autorités sanitaires ont-elles mis sur le marché un médicament qui semble dangereux? En tout cas il est très rentable et il semblerait que les intérêts financiers passent parfois avant celui du patient" Sans blague...

Changement de décor:
Le journaliste interviewe des VM sous prétexte de préparer un livre sur leur profession. Bien entendu tous souhaitent garder l'anonymat... Pas folle la guêpe!

Extraits de conversation:

VM: "On est amenés à avancer des qualités sur un médicament qui ne sont pas vérifiables scientifiquement. Décrire des choses qui ne sont pas forcément la réalité."
J: "Mentir?"
VM: "Mentir, non, arranger, oui. Ne pas dire les effets secondaires. Parler des avantages de puissance, d'efficacité. On parle pratiquement jamais d'effet indésirable."
J: "Pourquoi on lance un produit d'ASMR 3 ou 4?"
VM: "Le marché étant ce qu'il est, grand, exemple, le diabète de type 2, s'il n'y a que 2 labos sur le marché, qu'on arrive en 3e, même si on n'a pas d'innovation on se partage quand même une bonne part du gâteau." Bizness is bizness.
J: "Et comment tu fais pour placer les produits s'il y en a d'autres qui proposent quasi la même chose?"
VM: "Tu joues sur le relationnel."
Ce qui veut dire: tu invites les médecins à bouffer à midi. Tu organises des staffs à l'hôpital où tu payes à bouffer à tous les médecins du service (du chef à l'externe). Votre médecin pense donc avec son estomac. Sachez-le.
J: "Pour vous ça a des retombées?"
VM: "Ah oui on voit tout de suite les chiffres exploser."
So much pour ceux qui pensent que EUX ne sont pas influençables, qui pensent qu'une petite bouffe, c'est rien, ça n'engage à rien. CQFD (j'utilise beaucoup ce sigle en ce moment...)

On évoque ensuite un peu la rémunération des VM. D'après celui-ci, "un VM gagne entre 50 000 et 60 000 euros de salaire fixe, plus 5 000 à 20 000 euros de prime", selon le nombre de prescriptions obtenues bien sûr. Donc plus qu'une bonne partie des médecins généralistes. C'est qui les nantis déjà?
Puis on parle des marges que les labos appliquent à leurs médicaments. D'après ce VM, les labos vendent le médicament 10, 20 à 30 fois son coût de fabrication. Qu'on achète avec les sous de la Sécu. Normal.

VM: "C'est comme si on vendait de la lessive alors que quand même ça reste un médicament. C'est comme si on vendait n'importe quoi, que ça n'avait pas d'implication ou de conséquences particulière." Oui, c'est pas comme si ça influait sur la vie des gens.

Pour terminer, le reportage s'intéresse à la loi Bertrand votée en décembre 2011 pour réformer la visite médicale et notamment interdire la VM individuelle à l'hôpital (les médecins de ville tous seuls dans leur cabinet, on s'en fout).
X. Bertrand à l'assemblée: "La visite médicale doit profondément évoluer." Perso si elle pouvait évoluer dans le même sens que les dinosaures ça m'irait très bien.

On entend juste après le discours d'un PDG de labo à ses ouailles, au sujet de cette loi, encore en discussion à l'époque.
"Cette réforme du médicament est d'une inutilité majeure." On est au moins d'accord sur un point.
"En terme de filiale, il est beaucoup plus intéressant pour nous aujourd'hui de supprimer la recherche, que de supprimer la visite médicale". Ce qui est ballot, parce qu'à ma connaissance ton job de base c'est quand même de TROUVER des nouveaux médicaments, avant d'essayer de les vendre!
Donc, pour modifier la loi à son avantage, il va falloir faire "un peu de pédagogie auprès des députés", doux euphémisme pour dire du lobbying de gros bourrin. Qui a quand même réussi à faire vider la loi de son contenu avant qu'elle soit votée.

Conclusion du journaliste: "Qui s'est vraiment soucié de l'intérêt des patients"
C'est marrant je me pose la même question.

Fin du reportage.

Le débat:
Je vous présente les forces en présence:
Dr Irène Frachon, pneumologue au CHU de Brest. "Whistleblower" de l'affaire Médiator.
Dr Francois Wilthien, médecin généraliste vice-président de MG France (LE syndicat des MG dixit Marie Drucker, ce que le bon Dr n'a pas corrigé.) Abonné à la Revue Prescrire, ne reçoit pas les VM.
Hervé Gisserot, vice-président de GSK (laboratoire) et président du LEEM (Les Entreprises Du Médicaments. Si quelqu'un peut m'explique à quoi correspond le 2e E, je suis preneuse. Bref, le lobby du médicament). J'ai une pensée pour lui qui a dû passer une salle soirée...
Dr Catherine Lemorton, pharmacienne députée PS de Haute Garonne, présidente de la commission des affaires sociales de l'Assemblée Nationale. Auteure du rapport parlementaire "Prescrire moins, consommer mieux".
Dr Arnaud Robinet, docteur en pharmacologie, député UMP, rapporteur de la loi Bertrand.
Et enfin, last but not least:
Pr Philippe Even, faut-il encore le présenter? Allez pour ceux qui reviennent de longues vacances sur la Lune: professeur émérite à l'Université Paris Descartes, président de l'Institut Necker, auteur de "4000 médicament utiles, inutiles ou dangereux" et de "La vérité sur le cholestérol". Avec une jolie photo du livre (tiens en passant c'est marrant ils ont pas montré le livre d'Irène Frachon. Peut-être parce qu'il sort pas le lendemain de l'émission.)

Extraits choisis:
IF: "Le discours est clair de la part des labos: l'industrie pharmaceutique est une industrie qui a des objectifs de rentabilité à court terme. Par contre, il y a un flou total et un enfumage de la part des médecins qui n'ont manifestement pas cette vision de la puissance l'influence, de biais, de stratégie très organisée pour favoriser des médicaments nouveaus et plus chers." Cf la diabétologue naïve.

FW: "Ce soir je n'ai pas appris grand chose." C'est marrant moi non plus.
"Il ne s'agit pas d'information mais de promotion commerciale, de marketing." En parlant de la visite médicale.

MD à HG: "Est-il normal que l'on vende des médicaments de cette façon? Est-ce que vous cautionnez ces pratiques qui doivent forcément avoir cours aussi dans votre labo?" Oh nooon, GSK est un ange de labo.
Séance d'enfumage de HG: "La raison d'être des industriels du médicament, c'est de lutter contre la maladie, d'améliorer la qualité de vie des patients." Au début, oui, peut-être, il y a longtemps...
"grâce aux industriels on a pu éradiquer un grand nombre de maladies, on peut soigner des maladies qui étaient mortelles." Oui, bon merci, la pénicilline ça commence à dater un peu quand même... Pour mémoire, les dernière Pilule d'Or Prescrire remontent à 2006 et 2007, et encore ce sont des médicaments qui concernent un très petit nombre de patients. Avant il faut remonter à 1998 pour un anti-rétroviral utilisé dans le traitement du VIH. Donc oui, de temps en temps, au milieu d'un gros tas de médicament plus ou moins inutiles il y en a quelques-uns qui servent à quelque chose. Encore heureux. Mais ça ne répond pas du tout à la question posée, Hervé!

HG: "Ce reportage a un côté salle de garde. C'est comme si vous alliez dans la salle de repos des médecins quand ils se détendent et que vous écoutiez ce qu'ils disent et que vous pensiez que c'est ce qu'ils pensent des malades quand ils sont à leur chevet."
Ah OK, donc en fait tous ceux qui ont parlé dans le film, leurs mots ont dépassé leur pensée. Ils avaient pas l'air bourrés, ni en pleine "détente" pourtant. Ils avaient l'air assez sérieux.
Il revient ensuite sur la liste des 77 médicaments et la distinction avec "liste de médicaments dangereux". Ce qui n'est pas entièrement faux, cf mon post précédent.
"Nous n'invitons pas les médecins à des séjours de 8 jours avec des soirées et des dîners de gala. Nous accompagnons des médecins dans leur formation." De la nuance! CQFD (oui, encore une fois).
"Les laboratoires ont toute leur place dans le dépistage." Ben oui, hein, trouver des nouveaux malades ça les arrange plutôt bien.

CL: dénonce l'infiltration de l'industrie pharmaceutique à tous les niveaux de notre système de santé. Dit s'être fait traiter d'"hystérique des labos". Bienvenue chez les hystériques, Cathy!
"Un médecin qui n'a aujourd'hui comme source de formation ou d'information que la visite médicale, ce n'est pas normal." Un petit enfonçage de porte ouverte, ça ne fait pas de mal.

AR: "Tous les médicaments sont potentiellement dangereux, tous ont des effets indésirables." Porte ouverte, toussa...
"Les études de phase I, II et III sont faites sur des populations restreintes, donc on n'a pas suffisamment d'infos pour appréhender tous les effets indésirables."
MD: "Mais l'absence d'avancée thérapeutique, on le sait?"
AR: "Il y a eu des conflits d'intérêt à un moment donné." A quel moment, exactement?
"Il faudrait réévaluer la balance bénéfice-risque de chaque médicament tous les 5 ans" Ça paraît être une bonne idée.
"Nous serons vigilants à ce que l'Agence du Médicament remplisse totalement ses fonctions dans la transparence." Attention mon radar à langue de bois vient de sonner.
"Les pouvoirs publics sont là pour répondre aux besoins des patients." Dont acte. Let's wait and see, parce que jusqu'à présent...

FW: "C'est toujours largement insuffisant. C'est un sujet récurrent depuis 35 ans. Le prochain scandale sera celui des NACO, les nouveaux anti-coagulants oraux, ASMR 5 également."
Peut-être, moi j'aurais plutôt voté pour les anti-Alzheimer.

PE: Commence par passer un peu de pommade à Marie Drucker, ça fait pas de mal. Un peu de galanterie que diable.
"Tous les médicaments ont des risques, il faut en discuter avec votre médecin." Jusque là on est d'accord. Petite parenthèse sur les NACO et sur le fait qu'on n'a aucun antidote en cas de surdosage.
"Sans les laboratoires pharmaceutiques, il n'y aurait pas eu tous les grands médicaments qui datent déjà de beaucoup d'années et il n'y aurait aucune chance qu'il y ait un jour de nouveaux médicaments intéressants. Mais l'industrie pharmaceutique a pris de mauvaises habitudes avec le capitalisme spéculatif et financier de viser la rentabilité immédiate et à tout prix."
Bon alors je sais qu'il y a beaucoup de monde qui n'aime pas le Pr Even. Perso je n'ai lu aucun de ses bouquins, et je n'ai pas d'a priori sur lui. Mais ce qu'il vient de dire me paraît sensé et mesuré.

HG: "Nous sommes des entreprises. Personne ne parle dans une entreprise de philanthropie."
MD: "Oui mais là on parle de santé publique!"
CL: "Vous avez une aide publique permanente qui s'appelle le remboursement de vos médicaments. Votre industrie est complètement différente de toutes les autres industries en France, parce qu'elle est solvabilisée en permanence par la Sécurité Sociale. Cela vous impose des devoirs."

HG: "Le visiteur médical a aussi un rôle de remontée des effets indésirables." Mouahaha! Et la marmotte...
AR: "Mais ce n'est pas le rôle du VM que de faire de la pharmacovigilance. C'est se tirer une balle dans le pied." Chacun son rôle et les vaches seront bien gardées merci!

HG: "Sortons de la caricature. Vous présentez 4 ou 5 VM, il y a 15 ou 16 000 personnes qui font ce métier tous les jours, et qui ne se reconnaissent pas dans cette caricature."
PE: "Ce qui a été dit de l'industrie pharmaceutique n'était pas une caricature, c'était la réalité."
HG: "Donc ce qui a été montré est caricatural et ne reflète pas le secteur. C'est une image caricaturale."
En même temps les journalistes n'ont pas inventé ce qu'ils ont filmé...

HG: "Arrêtons de lancer des alertes en se substituant aux autorités sanitaires." Suivez mon regard Irène Frachon... Oui, encore faudrait-il que les autorités sanitaires fassent leur boulot correctement, là on pourra arrêter. Combien d'années a-t-on prescrit et vendu du Médiator avant son retrait grâce à Irène Frachon. Cette attaque d'HG n'a pas été relevée pendant le débat, et IF n'y a pas répondu, je trouve que c'est dommage.

Le débat s'est terminé sur une conclusion de Marie Drucker suggérant qu'il faudrait peut-être voir à "changer de culture", ce qui me paraît effectivement être une bonne idée. Malheureusement je pense que les générations actuelles de médecins sont plus ou moins fichues. C'est sur les jeunes qu'il faut miser. Quand on voit que dès l'externat on se fait kidnapper par les visiteurs médicaux dans es services, à un point de notre cursus où on a d'une part pas l'esprit critique et les connaissances pour remettre en cause le discours, et d'autre part toujours besoin d'un stylo, d'un bloc-notes ou d'une règle à ecg, ben c'est pas gagné. Dès le début, on nous fait comprendre que c'est NORMAL de se faire offrir des trucs par les labos.
Mais bon, il y a peut-être de l'espoir: par exemple ici 

Voilà, j'ai terminé ma blogorrhée (© DocAdrénaline).

Si vous voulez en savoir plus, voilà une foultitude de liens intéressants:

Les copains qui disent la même chose:
Sur les formations sponsorisées (Jaddo)
Sur la visite médicale pendant l'internat (encore Jaddo)
Votre médecin, avec ou sans pub? (Farfadoc) 
Le point de vue de Dr Gécé, assez proche du mien. 
Ce que docteurmilie écrit sur son ordonnance 
Le sevrage de Mathieu Calafiore 
Le triptyque de B. 1. 2. 3.

 
Les gens sérieux:
Prescrire. Oui les cadeaux ont de l'influence 
http://www.formindep.org/ 
Sur les liens d'intérêts entre les experts de l'ANSM et l'industrie pharmaceutique (Atoute.org)



Une pétition pour interdire la visite médicale, lancée par B. Le bruit des sabots:
http://www.petitions24.net/signatures/chut_pas_de_marques 

Si cette émission vous a ouvert les yeux, si ces articles vous ont semblé sensés, allez la signer!!!
Il s'agit de votre santé, de celle de vos parents, de celle de vos enfants. A bon entendeur!

 

© Dr Kalee ("ultra anti-labo" selon l'expression désormais consacrée...)


 

mardi 26 février 2013

Le retour de la vengeance des Infiltrés (partie 1)

Vous avez peut-être vu, vendredi 22 février dernier sur France 2, l'émission "Les Infiltrés", présentée par Marie Drucker, intitulée "Laboratoires pharmaceutiques, un lobby en pleine santé". En tout cas moi je l'ai regardée, et une grande partie de mes touittamis aussi, si j'en crois le nombre de tweets qui ont volé dans tous les sens au cours de l'émission.

Personnellement je n'y ai pas appris grand chose de nouveau. Mais cette émission a le grand mérite d'avoir exposé ces pratiques au grand jour, et en cela elle est salutaire.
C'est pourquoi l'idée m'est venu d'en faire un commentaire composé, à l'usage de ceux qui ne l'auraient pas vue, et même de ceux qui l'ont vue.

Pour plus de clarté, le résumé de l'émission et les propos qui en sont tirés sont en caractères normaux (j'ai pris des notes rapidement, il est possible que les formulations soient légèrement modifiées), mes commentaires sont en italique. L'émission était assez longue, donc je l'ai découpée en plusieurs parties. Deux ou trois, on verra. Allez, c'est parti.

Présentation du sujet de l'émission par Marie Drucker.
Pour commencer, je voudrais rendre un hommage appuyé au tailleur rose fuschia de Marie Drucker. Qui eût cru qu'une Roselyne Bachelot sommeillait en elle?

Les questions que pose l'émission:
Comment des médicaments inutiles voire dangereux arrivent-ils sur le marché? Pourquoi y restent-ils et sont même remboursés par la Sécurité Sociale?
Comment les laboratoires parviennent-ils à faire pression sur certains médecins ou députés pour rester dans la course au profit dans un marché très concurrentiel?

Plantage de décor:
L'industrie pharmaceutique française est l'une des plus puissante du monde avec 50 milliards d'euros de chiffre d'affaire par an et plus de 110 000 emplois. 150 nouveaux médicaments arrivent sur le marché français chaque année (pas que par les labos français bien sûr...). Ils visent surtout des marchés rentables: des maladies pour lesquelles le patient prend un médicament tous les jours toute sa vie (par exemple le diabète, le cholestérol, l'hypertension artérielle).

Comment les laboratoires lancent-ils un médicament? L'émission a donc infiltré un journaliste dans un laboratoire, et une équipe auprès de visiteurs médicaux et de médecins.

1ère séquence:
Un journaliste se fait embaucher comme stagiaire au service marketing d'un labo ("un des plus gros").
On peut critiquer le principe de la caméra cachée, principe de base de la série d'émissions "Les Infiltrés". Mais force est de constater qu'en agissant à découvert ils n'auraient jamais pu récolter les images qui vont suivre... Personnellement je considère donc que la fin en vaut les moyens. Cela dit, les images aux trois quarts floutées, c'est pas très agréable à regarder...

Donc, le labo en question prépare une grande campagne de communication sur un nouvel antidiabétique oral (ADO) qui se trouve être sur la liste des 77 médicaments surveillés par l'AFSSAPS. Nouvel ADO, un des plus gros labos français, liste AFSSAPS: vildagliptine ou Galvus° de chez Novartis. Je sens que je vais me faire troller par Novartis.
Le journaliste (qui fait très bien son candide...) pose donc la question à sa chef de la présence de ce médicament sur la fameuse liste. Laquelle lui répond en gros "c'est rien, ça concerne tous les médicament sortis depuis 2005. Pas de souci".
Alors, souci ou pas souci: pour être précis, la liste de l'AFSSAPS date d'il y a 2 ans. Depuis l'AFSSAPS ne s'appelle plus l'AFSSAPS mais l'ANSM et son site présente 3 listes de médicaments: la liste des médicaments retirés, la liste des médicaments sous surveillance renforcée, et la liste des médicaments faisant l'objet d'un Plan de Gestion des Risques. En gros s'il y a des doutes sur un médicament, on lui colle un Plan de Gestion des Risques. Si les doutes sont vraiment gros, on le met sous surveillance renforcée, et quand les doutes ne sont plus des doutes, on le retire. Sachant qu'il peut se passer des années et donc beaucoup de victimes avant d'en arriver là.
Donc les gliptines, puisqu'il semble bien que ce soit d'elles qu'on parle, sont dans la liste des Plans de Gestion des Risques. Bon. Tous les médicaments de cette liste ne sont peut-être pas à jeter avec l'eau du bain, tous ne seront sûrement pas retirés au bout du compte, mais quand même, à mon humble avis, c'est une GROSSE incitation à la prudence concernant les prescripteurs. Pour moi, ça veut dire qu'il est urgent d'attendre avant de prescrire ce médicament.

Quel a été l'avis de la HAS sur ce médicament: elle l'a classé en ASMR 5. Le journaliste explique le principe de l'ASMR (Amélioration du Service Médical Rendu), coté de 1 à 5. Classe 5, ça veut dire, pas d'amélioration. Donc, ce médicament n'apporte RIEN de mieux dans le traitement du diabète vis-à-vis des traitements déjà disponibles.
Il y a des suspicions de risques cardiaques, cutanés et hépatiques et il coûte 6 fois plus cher que les traitements de base. Mais il est remboursé par la Sécurité Sociale (nos sous faut-il le rappeler...).

Le laboratoire a donc décidé de commencer sa campagne de promotion dans un département d'outre-mer où on trouve beaucoup de diabétiques (10% de la population).

2e séquence:
Une 2e équipe se fait passer pour des journalistes qui réalisent un reportage sur le diabète dans ce DOM. Ils accompagnent une visiteuse médicale du laboratoire.

Le labo veut donc fournir gratuitement aux pharmaciens des machines qui réalisent un test sanguin de l'hémoglobine glyquée, afin de vérifier si les patients diabétiques sont bien équilibrés.
Bien entendu faire faire ça par le pharmacien c'est se substituer au rôle du médecin. Et du biologiste.

La VM va donc ensuite rencontrer un médecin généraliste pour lui exposer cette initiative. Extraits de la conversation:
VM: "On peut entrer, on en a pour 2 minutes?" (Note: les VM en ont TOUJOURS pour 2 minutes. Au final ils restent 10 à 15.)
VM: "Ce qui vous intéresse, dans le diabète, c'est quand même l'Hb glyquée?"
MG: "Je voie pas ça comme ça. C'est le patient qui m'intéresse."
VM: "Oui mais je veux dire qu'ils soient contrôlés. (...) Est-ce que vous pensez que c'est une bonne idée que le pharmacien puisse contrôler l'Hb glyquée du patient?"
MG: "Non, c'est le médecin qui fait ça."
VM: "Parce que en fait le labo nous a proposé de fournir des machines aux pharmaciens."
MG: "Je vous le dit tout de suite moi je ne vais pas du tout adhérer à ça."
VM: "D'accord. C'est pour ça que je vous le demande. Nous le but c'est plus l'accompagnement du patient dans le sens..."
MG: "Attendez, le labo X n'est pas un labo public?"
VM: "Non, c'est privé"
MG: "C'est privé. On est dans une société capitaliste. Une entreprise elle n'a qu'un truc à faire, c'est du fric. Ne me dites pas que votre intérêt c'est le patient."
VM: "Notre intérêt..."
MG: "C'est de faire monter le chiffre d'affaires".
VM: "Bien sûr. Mais c'est que le patient soit bien contrôlé quand même."
MG: "Mais non."

Je dois avouer que j'ai trouvé ce dialogue (de sourd), très savoureux. Pour un médecin choisi au hasard, mauvaise pioche, Mme la VM... Ce médecin a compris 2 choses fondamentales: on soigne un patient, et pas son Hb glyquée, et ensuite, un laboratoire n'est PAS une entreprise philanthropique. Ce qu'il fait a TOUJOURS une implication marketing. Dans mes bras ami généraliste. Je pense que la prochaine étape, en toute logique, c'est que tu arrêtes de recevoir les VM.

Cependant, si les généralistes ne sont pas très dociles, c'est pas grave, il y a les diabétologues!
L'équipe va donc ensuite à l'hôpital rencontrer une diabétologue.

2e conversation:
VM: "Il y a des médecins qui ne veulent pas que les pharmaciens le fassent. (Ouh les vilains...) Nous on voit ça du côté patient, le médecin il voit ça du côté business." Alors là je dois dire que les oreilles m'en tombent. L'hôpital se fout de la charité, ou comment inverser les rôles...

Ensuite le journaliste interroge la diabétologue sur le fait que le MG désapprouve l'installation des machines par le labo.
D: "Je ne vois pas très bien en quoi ça peut gêner hein... Il y a des ultras qui sont anti-labo, et qui veulent absolument que tout se fasse indépendamment des labos. Mais là ça paraît sans raison particulière pour eux"
J: "Vous pensez pas que le fait que ce soit le labo qui propose ces machines-là, ça va leur rapporter quelque chose sur leurs médicaments à eux en particulier?"
D: "Non puisque celui qui prescrit c'est le médecin et pas le pharmacien." Donc le labo fait ça par grandeur d'âme.
J: "Et pourquoi ils le font alors à votre avis?"
D: "Je suis peut-être naïve... (C'est pas moi qui l'ai dit!!) Mais c'est peut-être un service rendu pour le patient. Je vois pas ce que ça peut leur apporter. En quoi le labo peut avoir un retour sur ses médicaments puisque le médecin reste libre de prescrire ou de ne pas prescrire. On va pas prescrire plus le labo X parce qu'ils ont donné un appareil." Ben si ma cocotte. C'est démontré. Un conseil, amie diabétologue: enlève tes œillères de naïveté. Ça te fera du bien.

Ensuite la VM explique au journaliste comment elle s'y prend pour faire prescrire ses médicaments par les médecins. Elle paye régulièrement le déjeuner à quelques médecins. Ça multiplié par chaque VM, "il y en a qui mangent tous les jours gratuit."
Sinon, le labo paye aussi un voyage de 8 jours à Paris à 10 médecins pour assister aux Entretiens de Bichat. On est dans les DOM je rappelle, donc le voyage ne se fait pas en TGV, et les médecins sont hébergés au Concorde Lafayette, pas à l'Ibis du coin.
"Tous les gros labos font ça". Ah ben, si tout le monde le fait, alors ça va, je suis moins choquée.

Le journaliste: "Et donc ils prescrivent beaucoup après?"
La VM: "Ils ont intérêt. Là on les presse. On leur dit pas vous partez et après vous prescrivez. Vous prescrivez et après on verra si vous partez. (...) Et là je vais à la pharmacie pour savoir. De toute façon c'est donnant-donnant."
Et là un mot vient de faire irruption dans mon esprit. Il commence par COR... et finit par ...RUPTION. Mais non, je vois le mal partout.
Et par ailleurs, j'aimerais savoir comment et de quel droit les pharmaciens renseignent les VM sur les prescriptions de tel ou tel médecin. Est-ce légal?

Le reportage passe ensuite à une soirée de FMC (Formation Médicale Continue) lors de laquelle le labo s'est payé un "expert" leader d'opinion de métropole pour parler des "nouvelles recommandations sur le diabète de type 2" (Ah oui, celles qui ont été retirées à la demande du FORMINDEP?). Le billet d'avion, l'hôtel sont payés par le labo, en plus de la rémunération pour la conférence.
Le labo refuse que les journalistes assistent à la soirée (déjà c'est louche). Elle est donc enregistrée par la fenêtre. Le labo demande aux médecins auditeurs de laisser leur téléphone à l'entrée pour ne pas enregistrer ce qui se dit. Bienvenue à la CIA. Perso je n'ai jamais vu faire ça. En même temps ça fait longtemps que je ne suis pas allée à une soirée de labo...
Après vérification du journaliste, le Professeur conférencier n'est en fait pas Professeur, mais juste docteur. C'est classe. Ou comment utiliser l'argument d'autorité.
Ça commence donc par un cocktail au bord de la piscine, ambiance Médecins Nantis.
Début de la conférence: Le "Professeur" commence par remercier le labo X qui l'a si bien reçu. Ça promet de l'indépendance. Monsieur le Professeur ne déclare pas ses liens d'intérêt (obligation légale je le rappelle; cela prendrait trop de temps sans doute...)
Pour faire court, le topo est à la gloire du nouvel ADO du labo X.
"Ce médicament s'accompagne d'une baisse très rapide et très conséquente de l'HB glyquée". En appuyant bien sur le "très". C'est bien. Et en terme de morbi-mortalité? Car souvenez-vous ce que disait cet abruti de MG tout à l'heure: ce qui nous intéresse, c'est le patient. On ne soigne pas une Hb glyquée!
Des effets indésirables? Les risque cardiaques, hépatiques, cutanés, ne sont même pas cités. Ah si, le "Professeur" dit que ça peut donner la diarrhée. C'est sûr, tout de suite ça fait moins peur. Et il suffit de le prendre à la fin du repas pour l'éviter. Ouf, on est rassurés.
Là intervient la VM: "Le dîner est servi, c'est une belle conclusion." On sait donc pourquoi les auditeurs sont venus. Ça me rappelle furieusement ça)
On ne parle pas du prix 6 fois plus élevé (c'est vrai la santé ça n'a pas de prix...)

Conclusion du journaliste: "Le rapport de la HAS ne semble pas avoir gêné le laboratoire le moins du monde pour lancer son médicament." Bon, tout est dit.

3e séquence.

Nous nous sommes donc quittés après une édifiante soirée de FMC au bord de la piscine.
Nous nous retrouvons dans un tout autre décor: dans les bureaux de la Revue Prescrire, pour une interview de son directeur le Dr Bruno Toussaint.

Extraits:
"Le marché diabétique est très intéressant pour les firmes: c'est une maladie fréquente, incurable, qui pose des problèmes de santé très lentement, donc beaucoup de personnes sont amenées à prendre ce médicament pendant des dizaines d'années." Concept du "patient captif".
"Ce médicament (la gliptine NDLR), on sait que ça fait baisser un peu l'Hb glyquée (un peu, hein, pas très beaucoup et très vite...), mais on ne sait pas ce que ça fait en vrai en terme de complications du diabète: infarctus, insuffisance rénale, vue." C'est ça la morbi-mortalité.
"Pour nous c'est un médicament qui n'est pas recommandé parce qu'on ne sait pas ce que ça va faire sur les complications, mais par contre on voit déjà une partie de ses effets indésirables, très ennuyeux."

Le journaliste: "On a l'impression que ce médicament est lancé sur le marché sans qu'on maîtrise les effets indésirables, et qu'on va le tester grandeur nature?"
Fun non? Qui veut essayer?
BT: "Quand on teste un médicament sur quelques milliers de personnes et qu'on voit des effets indésirables sur 2-3 personnes, c'est la pointe d'un iceberg. Quand on le diffuse à 100 000 personnes, ça fait beaucoup plus de victimes."
CQFD.

"Ce cas est-il un cas isolé? Les labos pourraient-ils mettre notre vie en danger pour mettre sur le médicaments qu'ils estiment rentables?" Oh nooon... (hum euh attendez... Distilbène, coxibs, glitazones, anticholinestérasiques... Vous en voulez d'autres? Non je m'arrête là.)

La suite au prochain épisode. Pour voir la vidéo de l'émission, c'est .

© Dr Kalee ("ultra anti-labo" selon l'expression désormais consacrée...)
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lundi 25 février 2013

Mais pourquoi?

Ben oui, c'est vrai, pourquoi? Pourquoi ai-je eu envie de commencer un blog? J'ai pas assez d'occupations, entre le boulot, les marmots, la maison? Je m'ennuie? Je trouve que j'ai trop d'heures de sommeil (tiens si j'en sacrifiais encore quelques-unes?)
Euh... Non en fait.

Laissez-moi vous expliquer.
Il y a quelques temps, j'étais une jeune médecin généraliste, fraichement installée en collaboration, avec 2 collègues que je connaissais finalement assez peu, et pas vraiment de relations ni amicales ni professionnelles dans la région. Bref, je me sentais un peu seule, personne avec qui papoter cuisine, personne avec qui partager sur mon expérience, ma façon de voir la médecine.
Et puis un jour, je suis tombée la tête la première dans la blogosphère médicale.
Au commencement était Jaddo. Jaddo, la seule, l'unique, l'icône de la blogosphère médicale. Comme ça, au hasard de mes périgrinations webesques, un jour de petite affluence au cabinet, je suis tombée sur son billet "Formation Mes Couilles". Et là, ce fut LA révélation. Enfin, je trouvais quelqu'un avec qui je partageais une communauté de pensée. J'ai dévoré son blog en quelques jours, depuis le début, je ne pouvais plus aller me coucher (les heures de sommeil sacrifiées toussa...).

Une fois que j'ai eu fini, je me suis intéréssée à tous les liens de sa blog list, et j'ai découvert, ô bonheur, que des médecins blogueurs, il y en avait plein! Et qu'ils écrivaient des articles fort intéressants, avec lesquels j'étais plus ou moins d'accord, mais en gros quand même plus souvent plus que moins. Certains sont plus scientifiques, d'autres racontent plutôt leur vie de tous les jours. Tous m'ont apporté énormément, m'ont permis de réaliser que beaucoup de confrères partageaient mon point de vue sur notre profession. Comme je le disais plus haut, n'ayant pas beaucoup de confrères-amis dans ma région, ces blogs ont rompu une certaine solitude qui commencait à me peser.
J'en ai visité de plus en plus, doucettement j'ai commencé à commenter, les bougres ont commencé à repérer mon pseudo, et l'une d'entre eux m'a gentiment invitée sur Twitter (merci DocteurMillie, tu es la marraine spirituelle de ce blog!).
OMG, comme on dit dans cet étrange pays. C'était le début de la fin.
A force de lire les histoires et les réflexions des autres, je me suis dit, moi aussi j'ai des trucs à raconter. Moi aussi il y a des trucs que j'ai BESOIN de raconter. Plein de choses, professionnelles ou moins, qui me trottent dans la tête et que j'aimerai partager.
Alors petit à petit l'idée a germé: et pourquoi pas moi?

Mais quelque chose me retenait, un reste de cette timidité maladive qui me tient depuis mon enfance, sur laquelle j'ai beaucoup progressé, mais qui n'est quand même pas complètement décédée.
Et puis entre temps, j'ai rencontré DrParagliding, on a fait connaissance, il se trouve qu'on s'entend plutôt bien (et nos marmots aussi en plus, que demande le peuple?). On envisage de s'installer ensemble dans quelque temps, alors je me suis dit, si on s'y mettait à 2, ça fera moins peur. On aura plus d'inspiration.

Bon, ce ne sera qu'un blog de plus au milieu de tous ceux qui existent déjà (je leur consacrerai un billet rien qu'à eux), et je pense qu'aucun des billets à venir ne révolutionnera le monde de la médecine.
Mais si quelques personnes passent par là, voient de la lumière, entrent, passent un bon moment, peut-être se reconnaissent, ben je serais contente.
On essaiera de vous faire partager nos jours avec et nos jours sans, nos petites joies et nos petites peines (les grandes aussi why not?), nos idées, nos réflexions. Et aussi la création de notre future MSP (enfin ça c'est surtout DrParagliding qui va s'en charger, c'est elle la spécialiste!).

Alors voilà, nous sommes au début d'une looongue page blanche, il paraît que c'est angoissant pour les écrivains, ça tombe bien, on n'est pas écrivains!

J'ai déjà pas mal d'idées de billets qui se bousculent au portillon, j'espère trouver le temps de les faire vivre. Je ne doute pas que notre histoire et l'actualité nous en fourniront d'autres en temps voulu. 


 
© Dr Kalee

samedi 23 février 2013

Après 3h pour choisir le titre et la mise en page...

Bienvenue à tous,

Nous nous connaissons depuis quelques mois à peine, nous tweetons depuis quelques semaines, l'idée de créer un blog nous démange depuis quelques jours, on y travaille depuis quelques heures, et enfin nous voilà.
Dans ce blog, nous allons vous livrer des billets individuels ou communs autour de nos vies professionnelles et personnelles, de notre vision de la médecine générale et de la médecine en général.
Nous vous raconterons également l'évolution d'un projet de maison de santé, qui nous a justement réunies.

Nous espérons que ce blog saura refléter ce que nous pensons, et que vous lecteurs prendrez du plaisir à le lire comme nous à l'écrire.

Sachez le: créer un blog et écrire un premier billet avec 3 marmots de moins de 5 ans, n'est pas chose facile!! (nous remercions d'ailleurs M. Kalee pour le Marmotsitting)

A très bientôt!!!

Drkalee et DrParagliding