jeudi 28 février 2013

Le retour de la vengeance des Infiltrés (partie 2)

Retrouvons donc la suite des aventures de nos journalistes infiltrés au pays des laboratoires pharmaceutiques.

Le fameux labo X prépare la sortie d'un autre médicament, contre une maladie neurologique cette fois. (Alzheimer? Parkinson? SEP? Cette fois je n'ai pas retrouvé de quel médicament on parlait.)
En tout cas, le médicament, qui vise encore une fois les malades "captifs", devra donc être pris tous les jours pendant toute la vie, et coûte la bagatelle de 2000 euros par mois de traitement. L'ASMR a été cotée à 4 par la HAS.
Lors des études pré-commercialisation, 90% des patients ont présenté au moins un effet indésirable. QUATRE VINGT DIX POUR CENT!!! Dont 2 décès.
Le remboursement a été refusé en Grande-Bretagne, mais autorisé en France. (Labo français? Patriotisme économique?)

Bref, le labo présente donc sa molécule dans un congrès de neurologie. En fait de congrès, il s'agit d'un symposium organisé par le laboratoire. Annonçons la couleur: un symposium, c'est de la publicité, pas de l'EBM (pour Evidence-Based Medicine ou Médecine Basée sur les Preuves).
Le labo paye donc à déjeuner à 400 neurologues.

Quelques semaines plus tard, on en est déjà à 7 décès suspects. On parlait de risque de malaises et de bradycardies, on récolte des morts subites.

Conclusion du journaliste: "Pourquoi les autorités sanitaires ont-elles mis sur le marché un médicament qui semble dangereux? En tout cas il est très rentable et il semblerait que les intérêts financiers passent parfois avant celui du patient" Sans blague...

Changement de décor:
Le journaliste interviewe des VM sous prétexte de préparer un livre sur leur profession. Bien entendu tous souhaitent garder l'anonymat... Pas folle la guêpe!

Extraits de conversation:

VM: "On est amenés à avancer des qualités sur un médicament qui ne sont pas vérifiables scientifiquement. Décrire des choses qui ne sont pas forcément la réalité."
J: "Mentir?"
VM: "Mentir, non, arranger, oui. Ne pas dire les effets secondaires. Parler des avantages de puissance, d'efficacité. On parle pratiquement jamais d'effet indésirable."
J: "Pourquoi on lance un produit d'ASMR 3 ou 4?"
VM: "Le marché étant ce qu'il est, grand, exemple, le diabète de type 2, s'il n'y a que 2 labos sur le marché, qu'on arrive en 3e, même si on n'a pas d'innovation on se partage quand même une bonne part du gâteau." Bizness is bizness.
J: "Et comment tu fais pour placer les produits s'il y en a d'autres qui proposent quasi la même chose?"
VM: "Tu joues sur le relationnel."
Ce qui veut dire: tu invites les médecins à bouffer à midi. Tu organises des staffs à l'hôpital où tu payes à bouffer à tous les médecins du service (du chef à l'externe). Votre médecin pense donc avec son estomac. Sachez-le.
J: "Pour vous ça a des retombées?"
VM: "Ah oui on voit tout de suite les chiffres exploser."
So much pour ceux qui pensent que EUX ne sont pas influençables, qui pensent qu'une petite bouffe, c'est rien, ça n'engage à rien. CQFD (j'utilise beaucoup ce sigle en ce moment...)

On évoque ensuite un peu la rémunération des VM. D'après celui-ci, "un VM gagne entre 50 000 et 60 000 euros de salaire fixe, plus 5 000 à 20 000 euros de prime", selon le nombre de prescriptions obtenues bien sûr. Donc plus qu'une bonne partie des médecins généralistes. C'est qui les nantis déjà?
Puis on parle des marges que les labos appliquent à leurs médicaments. D'après ce VM, les labos vendent le médicament 10, 20 à 30 fois son coût de fabrication. Qu'on achète avec les sous de la Sécu. Normal.

VM: "C'est comme si on vendait de la lessive alors que quand même ça reste un médicament. C'est comme si on vendait n'importe quoi, que ça n'avait pas d'implication ou de conséquences particulière." Oui, c'est pas comme si ça influait sur la vie des gens.

Pour terminer, le reportage s'intéresse à la loi Bertrand votée en décembre 2011 pour réformer la visite médicale et notamment interdire la VM individuelle à l'hôpital (les médecins de ville tous seuls dans leur cabinet, on s'en fout).
X. Bertrand à l'assemblée: "La visite médicale doit profondément évoluer." Perso si elle pouvait évoluer dans le même sens que les dinosaures ça m'irait très bien.

On entend juste après le discours d'un PDG de labo à ses ouailles, au sujet de cette loi, encore en discussion à l'époque.
"Cette réforme du médicament est d'une inutilité majeure." On est au moins d'accord sur un point.
"En terme de filiale, il est beaucoup plus intéressant pour nous aujourd'hui de supprimer la recherche, que de supprimer la visite médicale". Ce qui est ballot, parce qu'à ma connaissance ton job de base c'est quand même de TROUVER des nouveaux médicaments, avant d'essayer de les vendre!
Donc, pour modifier la loi à son avantage, il va falloir faire "un peu de pédagogie auprès des députés", doux euphémisme pour dire du lobbying de gros bourrin. Qui a quand même réussi à faire vider la loi de son contenu avant qu'elle soit votée.

Conclusion du journaliste: "Qui s'est vraiment soucié de l'intérêt des patients"
C'est marrant je me pose la même question.

Fin du reportage.

Le débat:
Je vous présente les forces en présence:
Dr Irène Frachon, pneumologue au CHU de Brest. "Whistleblower" de l'affaire Médiator.
Dr Francois Wilthien, médecin généraliste vice-président de MG France (LE syndicat des MG dixit Marie Drucker, ce que le bon Dr n'a pas corrigé.) Abonné à la Revue Prescrire, ne reçoit pas les VM.
Hervé Gisserot, vice-président de GSK (laboratoire) et président du LEEM (Les Entreprises Du Médicaments. Si quelqu'un peut m'explique à quoi correspond le 2e E, je suis preneuse. Bref, le lobby du médicament). J'ai une pensée pour lui qui a dû passer une salle soirée...
Dr Catherine Lemorton, pharmacienne députée PS de Haute Garonne, présidente de la commission des affaires sociales de l'Assemblée Nationale. Auteure du rapport parlementaire "Prescrire moins, consommer mieux".
Dr Arnaud Robinet, docteur en pharmacologie, député UMP, rapporteur de la loi Bertrand.
Et enfin, last but not least:
Pr Philippe Even, faut-il encore le présenter? Allez pour ceux qui reviennent de longues vacances sur la Lune: professeur émérite à l'Université Paris Descartes, président de l'Institut Necker, auteur de "4000 médicament utiles, inutiles ou dangereux" et de "La vérité sur le cholestérol". Avec une jolie photo du livre (tiens en passant c'est marrant ils ont pas montré le livre d'Irène Frachon. Peut-être parce qu'il sort pas le lendemain de l'émission.)

Extraits choisis:
IF: "Le discours est clair de la part des labos: l'industrie pharmaceutique est une industrie qui a des objectifs de rentabilité à court terme. Par contre, il y a un flou total et un enfumage de la part des médecins qui n'ont manifestement pas cette vision de la puissance l'influence, de biais, de stratégie très organisée pour favoriser des médicaments nouveaus et plus chers." Cf la diabétologue naïve.

FW: "Ce soir je n'ai pas appris grand chose." C'est marrant moi non plus.
"Il ne s'agit pas d'information mais de promotion commerciale, de marketing." En parlant de la visite médicale.

MD à HG: "Est-il normal que l'on vende des médicaments de cette façon? Est-ce que vous cautionnez ces pratiques qui doivent forcément avoir cours aussi dans votre labo?" Oh nooon, GSK est un ange de labo.
Séance d'enfumage de HG: "La raison d'être des industriels du médicament, c'est de lutter contre la maladie, d'améliorer la qualité de vie des patients." Au début, oui, peut-être, il y a longtemps...
"grâce aux industriels on a pu éradiquer un grand nombre de maladies, on peut soigner des maladies qui étaient mortelles." Oui, bon merci, la pénicilline ça commence à dater un peu quand même... Pour mémoire, les dernière Pilule d'Or Prescrire remontent à 2006 et 2007, et encore ce sont des médicaments qui concernent un très petit nombre de patients. Avant il faut remonter à 1998 pour un anti-rétroviral utilisé dans le traitement du VIH. Donc oui, de temps en temps, au milieu d'un gros tas de médicament plus ou moins inutiles il y en a quelques-uns qui servent à quelque chose. Encore heureux. Mais ça ne répond pas du tout à la question posée, Hervé!

HG: "Ce reportage a un côté salle de garde. C'est comme si vous alliez dans la salle de repos des médecins quand ils se détendent et que vous écoutiez ce qu'ils disent et que vous pensiez que c'est ce qu'ils pensent des malades quand ils sont à leur chevet."
Ah OK, donc en fait tous ceux qui ont parlé dans le film, leurs mots ont dépassé leur pensée. Ils avaient pas l'air bourrés, ni en pleine "détente" pourtant. Ils avaient l'air assez sérieux.
Il revient ensuite sur la liste des 77 médicaments et la distinction avec "liste de médicaments dangereux". Ce qui n'est pas entièrement faux, cf mon post précédent.
"Nous n'invitons pas les médecins à des séjours de 8 jours avec des soirées et des dîners de gala. Nous accompagnons des médecins dans leur formation." De la nuance! CQFD (oui, encore une fois).
"Les laboratoires ont toute leur place dans le dépistage." Ben oui, hein, trouver des nouveaux malades ça les arrange plutôt bien.

CL: dénonce l'infiltration de l'industrie pharmaceutique à tous les niveaux de notre système de santé. Dit s'être fait traiter d'"hystérique des labos". Bienvenue chez les hystériques, Cathy!
"Un médecin qui n'a aujourd'hui comme source de formation ou d'information que la visite médicale, ce n'est pas normal." Un petit enfonçage de porte ouverte, ça ne fait pas de mal.

AR: "Tous les médicaments sont potentiellement dangereux, tous ont des effets indésirables." Porte ouverte, toussa...
"Les études de phase I, II et III sont faites sur des populations restreintes, donc on n'a pas suffisamment d'infos pour appréhender tous les effets indésirables."
MD: "Mais l'absence d'avancée thérapeutique, on le sait?"
AR: "Il y a eu des conflits d'intérêt à un moment donné." A quel moment, exactement?
"Il faudrait réévaluer la balance bénéfice-risque de chaque médicament tous les 5 ans" Ça paraît être une bonne idée.
"Nous serons vigilants à ce que l'Agence du Médicament remplisse totalement ses fonctions dans la transparence." Attention mon radar à langue de bois vient de sonner.
"Les pouvoirs publics sont là pour répondre aux besoins des patients." Dont acte. Let's wait and see, parce que jusqu'à présent...

FW: "C'est toujours largement insuffisant. C'est un sujet récurrent depuis 35 ans. Le prochain scandale sera celui des NACO, les nouveaux anti-coagulants oraux, ASMR 5 également."
Peut-être, moi j'aurais plutôt voté pour les anti-Alzheimer.

PE: Commence par passer un peu de pommade à Marie Drucker, ça fait pas de mal. Un peu de galanterie que diable.
"Tous les médicaments ont des risques, il faut en discuter avec votre médecin." Jusque là on est d'accord. Petite parenthèse sur les NACO et sur le fait qu'on n'a aucun antidote en cas de surdosage.
"Sans les laboratoires pharmaceutiques, il n'y aurait pas eu tous les grands médicaments qui datent déjà de beaucoup d'années et il n'y aurait aucune chance qu'il y ait un jour de nouveaux médicaments intéressants. Mais l'industrie pharmaceutique a pris de mauvaises habitudes avec le capitalisme spéculatif et financier de viser la rentabilité immédiate et à tout prix."
Bon alors je sais qu'il y a beaucoup de monde qui n'aime pas le Pr Even. Perso je n'ai lu aucun de ses bouquins, et je n'ai pas d'a priori sur lui. Mais ce qu'il vient de dire me paraît sensé et mesuré.

HG: "Nous sommes des entreprises. Personne ne parle dans une entreprise de philanthropie."
MD: "Oui mais là on parle de santé publique!"
CL: "Vous avez une aide publique permanente qui s'appelle le remboursement de vos médicaments. Votre industrie est complètement différente de toutes les autres industries en France, parce qu'elle est solvabilisée en permanence par la Sécurité Sociale. Cela vous impose des devoirs."

HG: "Le visiteur médical a aussi un rôle de remontée des effets indésirables." Mouahaha! Et la marmotte...
AR: "Mais ce n'est pas le rôle du VM que de faire de la pharmacovigilance. C'est se tirer une balle dans le pied." Chacun son rôle et les vaches seront bien gardées merci!

HG: "Sortons de la caricature. Vous présentez 4 ou 5 VM, il y a 15 ou 16 000 personnes qui font ce métier tous les jours, et qui ne se reconnaissent pas dans cette caricature."
PE: "Ce qui a été dit de l'industrie pharmaceutique n'était pas une caricature, c'était la réalité."
HG: "Donc ce qui a été montré est caricatural et ne reflète pas le secteur. C'est une image caricaturale."
En même temps les journalistes n'ont pas inventé ce qu'ils ont filmé...

HG: "Arrêtons de lancer des alertes en se substituant aux autorités sanitaires." Suivez mon regard Irène Frachon... Oui, encore faudrait-il que les autorités sanitaires fassent leur boulot correctement, là on pourra arrêter. Combien d'années a-t-on prescrit et vendu du Médiator avant son retrait grâce à Irène Frachon. Cette attaque d'HG n'a pas été relevée pendant le débat, et IF n'y a pas répondu, je trouve que c'est dommage.

Le débat s'est terminé sur une conclusion de Marie Drucker suggérant qu'il faudrait peut-être voir à "changer de culture", ce qui me paraît effectivement être une bonne idée. Malheureusement je pense que les générations actuelles de médecins sont plus ou moins fichues. C'est sur les jeunes qu'il faut miser. Quand on voit que dès l'externat on se fait kidnapper par les visiteurs médicaux dans es services, à un point de notre cursus où on a d'une part pas l'esprit critique et les connaissances pour remettre en cause le discours, et d'autre part toujours besoin d'un stylo, d'un bloc-notes ou d'une règle à ecg, ben c'est pas gagné. Dès le début, on nous fait comprendre que c'est NORMAL de se faire offrir des trucs par les labos.
Mais bon, il y a peut-être de l'espoir: par exemple ici 

Voilà, j'ai terminé ma blogorrhée (© DocAdrénaline).

Si vous voulez en savoir plus, voilà une foultitude de liens intéressants:

Les copains qui disent la même chose:
Sur les formations sponsorisées (Jaddo)
Sur la visite médicale pendant l'internat (encore Jaddo)
Votre médecin, avec ou sans pub? (Farfadoc) 
Le point de vue de Dr Gécé, assez proche du mien. 
Ce que docteurmilie écrit sur son ordonnance 
Le sevrage de Mathieu Calafiore 
Le triptyque de B. 1. 2. 3.

 
Les gens sérieux:
Prescrire. Oui les cadeaux ont de l'influence 
http://www.formindep.org/ 
Sur les liens d'intérêts entre les experts de l'ANSM et l'industrie pharmaceutique (Atoute.org)



Une pétition pour interdire la visite médicale, lancée par B. Le bruit des sabots:
http://www.petitions24.net/signatures/chut_pas_de_marques 

Si cette émission vous a ouvert les yeux, si ces articles vous ont semblé sensés, allez la signer!!!
Il s'agit de votre santé, de celle de vos parents, de celle de vos enfants. A bon entendeur!

 

© Dr Kalee ("ultra anti-labo" selon l'expression désormais consacrée...)


 

3 commentaires:

  1. Comment peut-on savoir si notre médecin est indépendant?

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    1. Vous pouvez déjà lui demander simplement s'il reçoit les visiteurs médicaux, ou ce qu'il pense de la revue Prescrire. Regarder les ordonnances qu'il vous délivre et comparer avec les listes de médicaments déconseillés par Prescrire ou surveillés par l'ANSM. Regarder dans son cabinet si vous voyez beaucoup d'objets sponsorisés (bloc-notes, stylos, matériel...)
      Cela dit, qu'on ne me fasse pas dire ce que je n'ai pas dit: tout médecin qui reçoit la visite médicale n'est pas forcément un "mauvais" médecin. Cependant on peut craindre qu'il soit parfois influencé dans ses prescriptions.

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  2. "Cette fois je n'ai pas retrouvé de quel médicament on parlait." >>> Fingolimod (Gylenia®), toujours de Novartis.

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