mardi 30 avril 2013

Apprendre son métier par les larmes.

Je n'ai pas souvenir d'avoir pleuré au boulot pendant mon externat. Par contre, pendant mon internat, chaque semestre et chaque lieu de stage a été le cadre d'un craquage nerveux. Il faut croire que c'est le métier qui rentre.

En premier semestre, j'étais en stage en service d'urgences médicales. En gros nous accueillions les patients qui étaient arrivés aux urgences, et qui avaient eu besoin d'être hospitalisés pour un problème médical (comprenez non chirurgical, hein, oui évidemment tout le monde est à l'hôpital pour un problème médical...), et qu'on n'avait pas pu caser dans un service de spécialité. On avait aussi parfois ceux que la réa ne voulait pas. Trop vieux, trop poly-pathologiques, pas assez graves... Donc parfois des patients sous VNI, sous amines... Une partie "psy" aussi, les tentatives de suicides, les dépressions graves, avant qu'on leur trouve une place en psy.
Le premier semestre, c'est toujours un choc. Un mois avant, on est externe, notre niveau de responsabilité avoisine celui de la plante verte, on est là 3h le matin et basta. Du jour au lendemain, on est l'interne, et c'est à nous de remplir la feuille de prescription de l'entrée poly-daubée de 3h du mat', parce que le senior nous a bien fait comprendre que si on pouvait éviter de le réveiller, ça vaudrait mieux. Hum... Moment de solitude...
Personnellement j'ai toujours manqué de confiance en moi, et me retrouver comme ça en responsabilité était paralysant, d'autant plus que je déteste les urgences. Alors il se trouve que dans l'ensemble, je ne suis pas trop poisseuse en ce qui concerne les gardes, et c'est ça qui m'a sauvé. J'ai eu la chance de ne pas me récupérer les gardes les plus infernales, de ne pas tomber sur les seniors les plus je-m'en-foutistes. Quand je tournais avec un senior compréhensif et qui comprenait que j'avais besoin d'étayage, tout allait bien.
Sauf avec ELLE. ELLE, c'était une PH de médecine interne, qui venait faire des gardes dans mon service. ELLE, elle était interniste, donc elle savait tout, et comme elle savait tout, elle ne comprenait pas que MOI, je ne savais pas tout (loin de là), et donc elle aimait bien me faire sentir comme une sous-merde.
Un jour de garde avec elle, nous avions reçu une dame transférée justement de médecine interne, parce qu'elle faisait un état de mal épileptique à type de crises partielles bizarroïdes. Rien qu'en voyant l'épaisseur du dossier fourni avec la dame j'ai cru défaillir.
Donc la gentille interniste m'a dit de m'occuper de l'entrée pendant qu'elle gérait d'autres choses. Sauf que moi, après avoir essayé d'examiner la dame qui convulsait toujours, et tenté une archéologie du dossier auquel je ne comprenais goutte, je me suis trouvée fort dépourvue. Quand elle est revenue une demi-heure plus tard et qu'elle a commencé à me pourrir à type de "quoi, mais t'as pas commencé les prescriptions, mais qu'est-ce que t'attends, que je te tienne la main" et autres gentillesses, tout cela devant l'externe qui manifestement aurait aimé pouvoir rentrer dans le mur, j'avoue que ma zénitude a flanché. J'ai quand même réussi à ne pas craquer devant elle, je ne voulais pas lui faire ce plaisir.
Par contre dès que j'en ai eu l'occasion, j'ai filé m'enfermer dans le bureau de l'assistante, la gentille, et là, la pauvre a été obligée de me faire une psychothérapie de soutien en urgence.Ce qu'elle a très bien et très gentiment fait d'ailleurs. Je ne l'en ai pas assez remerciée.
Globalement, je n'ai pas aimé ce stage, qui m'a confirmé que je n'étais faite ni pour l'hôpital ni pour les urgences, mais je ne me suis jamais sentie aussi nulle qu'en travaillant aux côtés de cette PH.

En deuxième semestre, j'ai été en stage dans une petite clinique en service de médecine adulte, un sympathique combo de gastro-entérologie (comprenez alcooliques et cancers), neurologie (comprenez AVC et démences), et pneumologie (comprenez encore cancers). Quand j'y repense,  cette clinique était un désastre au niveau de la permanence des soins. La nuit et le week-end, l'interne était seul sur place, avec un senior d'astreinte téléphonique (quand il voulait bien répondre). D'ailleurs, pour vous faire une idée, c'est à cette période qu'avait eu lieu la dernière grève des internes. Donc pendant quelques semaines il n'y avait plus d'interne de garde sur place. Et bien ils n'ont rien changé au système habituel, le senior d'astreinte est resté d'astreinte et il n'y avait donc aucun personnel médical sur place la nuit et le week-end. Tranquille... Il n'y avait pas de biologie  ni de radiologie sur place en dehors des heures ouvrables, et la procédure pour récupérer le dossier d'un patient suivi sur la clinique était tellement ubuesque que j'avais abandonné l'idée. Concernant les entrées sur la garde, nous n'avions aucune consigne particulière (pour les entrées directes notamment), et comme je n'avais pas la maturité pour évaluer la gravité potentielle par téléphone, et qu'à l'époque je ne savais pas dire non, ben globalement si j'avais la place je disais oui. Jusqu'à ce jour, et cette entrée.
C'était un week-end, en début de soirée, et j'ai reçu un appel d'une famille dont le père était suivi à la clinique pour un cancer du colon. Ils voulaient le faire hospitaliser parce qu'il n'allait pas très bien, il était fatigué, il avait de la diarrhée. Âme simple et généreuse, j'ai accepté. Je n'avais donc pas le dossier du monsieur, pour la raison détaillée ci-dessus. Le monsieur avait plus de 80 ans, était d'origine maghrébine si je me rappelle bien, et ne parlait pas très bien français. Ses enfants qui l'avaient amené ne savaient pas grand-chose sur sa maladie (quel stade, métastases ou pas, traitement curatif ou palliatif...) Bref, je naviguais à vue. Après cet entretien fort peu instructif, les enfants étaient partis sur la consigne suivante "Docteur, occupez-vous bien de notre papa s'il-vous-plaît". Ou comment mettre la pression à l'interne. Vous le voyez venir le gros iceberg, non? Moi à ce moment-là, non. Je m'en suis donc allée le coeur léger examiner mon nouveau patient. Bon, il n'était certes pas super en forme, un peu fatigué, un peu cerné, il avait mal au ventre, mais rien qui n'allumait mon alarme interne. Ses constantes étaient tout à fait correctes, et il ne présentait aucune défaillance d'organe. je m'en allai donc faire mes prescriptions, puis regagnai ma chambre de garde en attendant que l'infirmière lui pique son bilan, l'envoie au labo externe qui faisait les bios le week-end, et que les résultats reviennent. Tout ça n'allait pas prendre 5 min, vous pouvez imaginer. Environ 45 min plus tard, je me suis dit que la bio allait sûrement bientôt arriver, que j'allais donc remonter dans le service jeter un oeil au monsieur et voir tout ça. Vous le voyez se rapprocher le gros iceberg? Moi, à ce moment-là, toujours pas. Je suis donc tranquillement entrée dans la chambre du monsieur, et là, je crois que mon coeur a loupé quelques battements. Le monsieur avait décidé d'arrêter de vivre. Je suis restée complètement paralysée pendant quelques secondes, le temps que mon cerveau accepte d'intégrer cette information totalement inattendue, puis j'ai appelé l'infirmière, qui n'avait rien vu venir non plus (elle lui avait piqué son bilan 30 min avant, et ne m'avait pas rappelée). Le délai depuis l'arrêt était donc quelque par entre 0 et 30 min. Vous me voyez moi, interne de 2e semestre, toute seule sur la clinique, commencer une RCP en attendant que le SMUR se pointe dans dieu sait combien de temps? J'ai honte, mais je n'ai pas été capable de prendre cette initiative. Je suis restée à le regarder bêtement, puis j'ai éclaté en sanglot. Et l'infirmière de rajouter "ben oui mais aussi, on prend pas d'entrée directe d'habitude, c'est pas la procédure." OK, je note, je m'en souviendrais pour la prochaine fois. Elle avait raison sur le fond, mais là à ce moment ce n'était pas vraiment ce dont j'avais besoin...
Est alors venu le moment le plus fun de toute l'histoire, celui d'appeler la famille, pour leur annoncer le décès. Vous savez, ceux qui étaient partis en me demandant de bien m'occuper de leur papa? Ah oui, ça je m'en étais bien occupée. Je peux vous dire que j'ai passé un des plus sales moments de ma jeune carrière. Le coup de fil a été difficile. Par contre, une fois sur place, les choses se sont plutôt bien passées. Moi qui craignait de me faire insulter, menacer de procès ou je ne sais quoi, au final, la rencontre post-mortem a été assez douce. Considérant que je ne pouvais même pas leur expliquer pourquoi leur père était décédé, je trouve qu'ils ont été plus que tolérants.
Entre temps, l'infirmière avait appelé le labo pour faire annuler le bilan, devenu inutile. Finalement je les ai rappelés pour qu'ils le fassent quand même, parce que j'avais besoin de comprendre, et je me disais que le bilan pourrait peut-être m'apporter un début de réponse. Effectivement les résultats étaient plus que pourris. Les leucocytes, la CRP, la créat, les enzymes hépatiques, absolument tout était augmenté à des valeurs que je ne pensais même pas possibles. En tout cas pas compatibles avec la vie, la preuve...
Le lendemain avant de partir j'ai réussi à choper le médecin qui s'occupait de lui, déjà pour lui raconter les évènements, puis pour savoir quel était le contexte. Avais-je plié un papi en relative bonne santé (genre chimio adjuvante sur cancer du colon opéré N0M0?) ou un vieux monsieur très malade au bout de ses traitements? Au final, il s'est avéré (heureusement), que c'était plutôt la 2e option, un monsieur avec un cancer très avancé, plein de métastases, Nième ligne de chimio... Nous en avons conclu ensemble qu'il avait dû faire un choc septique fulgurant. Au final cela lui a peut-être évité quelques semaines d'agonie...
Mais sur le coup, quelle soirée horrible. Je crois que cette garde fut une de mes pires. Et pour les suivantes, je n'ai plus JAMAIS accepté d'entrée directe. Pas folle.

Troisième semestre, de nouveau stage de médecine adulte dans le petit hôpital périphérique de PetiteVille (genre, un service d'urgence, un service de médecine, un service de chirurgie. Service de chirurgie que je ne conseillerai pas à mon pire ennemi d'ailleurs... Mais c'est une autre histoire.)
Ce semestre-là s'est plutôt bien passé, l'équipe était sympa, très encadrante (parfois limite trop même, arrivée en 3e semestre). Pas de gros traumatisme professionnel ce semestre.
Seulement, arrivée à l'évaluation de fin de semestre avec le chef, la petite remarque qui fait plaisir: "j'ai trouvé que tu n'étais pas toujours bien concentrée, bien au courant sur tes patients..." Ah oui, ce que j'ai oublié de vous dire, c'est que je suis tombée enceinte au début du stage, je l'ai donc fini enceinte de 5 mois. J'ai passé la majeure partie des tours du matin à chercher un endroit pour m'asseoir pour ne pas tomber dans les pommes, à m'éclipser pour manger des biscottes et des compotes avant de défaillir d'hypoglycémie, puis pour aller les vomir discrètement 20 min plus tard... Vous en conviendrez, on a connu mieux pour être concentrée et bien connaître ses patients...
Bon, cela dit ça ne m'a pas fait pleurer. Globalement, vomi mis à part, ce fut un très bon stage.

Quatrième semestre, je n'ai même pas eu besoin d'attendre le début du stage pour pleurer. J'étais donc enceinte de 5 mois, je ne devais faire que 2 mois 1/2 de stage avant d'être en congé mat. La fac n'avait pas jugé bon de m'attribuer un poste en surnombre, et par conséquent, le service que j'allais choisir allait se retrouver sans interne au bout de 2 mois 1/2. Vous pouvez imaginer que j'ai été bien reçue, lorsque comme je le faisais avant chaque début de stage, je suis allée me présenter au chef de service. Il fut infect, qu'il en avait marre des femmes enceintes, que je n'avais qu'à prendre une dispo (oui, merci, mais j'ai un peu un crédit à payer monsieur...). Bref, l'entrevue fut tout juste courtoise, et je me retrouvais bien vite dehors, sur le trottoir, en larmes. Avec l'impression de m'être fait jeter uniquement du fait de ma grossesse. Alors oui je comprends l'embarras de chef qui se retrouve sans interne pendant 3 mois 1/2. Mais qu'y puis-je? J'avais demandé un poste en surnombre, on me l'avait refusé. Voilà, il fallait bien que je choisisse un poste.

Bon, comme je sens que je commence à vous endormir, je vais m'arrêter là pour cette fois, et je vous raconterai la suite de mes aventures lacrymales une autre fois...

© Dr Kalee
Billet sponsorisé par Kleenex (non j'déconne)

dimanche 21 avril 2013

Le droit à l'indifférence

Je n'en peux plus, il faut que ça sorte. Et pourtant, je ne suis même pas concernée.
Je ne suis même pas concernée, et pourtant en ce moment, dès que j'allume la télé, à l'heure des infos, j'ai le coeur qui se serre, le sang qui bouillonne. Alors je ne l'allume plus.

Il y a quelques mois, avant d'ouvrir ce blog, j'avais mis sur un bout de papier quelques sujets de billets à écrire. L'un d'entre eux s'intitulait "Mariage pour tous, et après?". J'en étais déjà à me questionner sur la PMA pour les couples homosexuels, car pour moi c'était le seul sujet qui me posait question. Les étapes précédentes, mariage et adoption, ça allait de soi, et je pensais que le processus législatif suivrait son cours, avec son lot de débat, normal, mais quand même normalement. J'étais loin d'imaginer le déferlement de haine et les propos hallucinants auxquels nous sommes en ce moment exposés chaque jour.

Sérieusement, ça devient étouffant, insupportable. Et pourtant, je ne suis même pas homo, je n'en ai pas dans ma famille, et même pas dans mes amis. En vie réelle, je n'en connais pas, c'est dire! En tout cas pas d'assez près pour que je sois au courant. En dehors de patients que j'ai pu voir, j'entends.
Par contre il y en a plusieurs couples dans mes twittami(e)s, et bien que je ne les connaisse pas IRL, je souffre pour eux/elles, de la somme de propos injurieux et de haine qu'ils/elles doivent encaisser jour après jour depuis quelques semaines.

Alors que comme disait l'une d'entre elles, sur son propre blog, il y a quelques jours à peine, tout ce qu'ils demandent, c'est le droit à l'INDIFFERENCE.
Ne pas être regardés comme des bêtes curieuses, comme des gens anormaux et dangereux, ne pas avoir peur en sortant dans la rue en couple. Pouvoir fonder un couple, éventuellement une famille, élever leurs enfants comme tout le monde, les savoir protégés en cas de rupture, de décès d'un des conjoints.
Vivre, tout simplement! Est-ce donc cela qui mettrait la civilisation en péril?

Quand je vois des parlementaires, censés représenter le peuple français, descendre de l'hémicycle pour se mettre sur la gueule, quand j'entends parler d'assassins d'enfants, quand j'entends des amalgames infâmes à base d'inceste, de pédophilie, et de je ne sais quoi encore... Quand je vois une blondasse foldingue verser des larmes de crocodiles à la télé... J'ai mal. J'ai mal pour tous ces couples, j'ai mal pour toutes ces familles, pour tous ces enfants. J'ai mal aussi pour mon pays, qui est censé être un pays de tolérance, un pays de liberté, d'égalité, de fraternité. Elles sont où là, la liberté de chacun de mener sa vie, l'égalité devant la république, la fraternité avec celui qui ne te ressemble pas?!
Ah oui, plutôt la liberté pour moi d'aller casser la gueule à qui ne me revient pas, l'égalité mais seulement pour ceux qui rentrent bien dans les petites cases de ma vision étriquée de la famille et de l'humanité, la fraternité entre gens bien comme il faut! Pfff, ça me dégoûte...
Quand je vois qu'un certain nombre de ces gens se réclament de l'église catholique, j'ai l'impression qu'on n'a pas appris le même catéchisme (et pourtant Dieu sait que je ne le fréquente plus depuis longtemps...). Je sais pas, "Dieu est amour", ça vous dit quelque chose? "Aime ton prochain comme toi-même"? Que je sache il n'est pas précisé ton prochain hétérosexuel! Je ne pense pas que Dieu existe, mais ce dont je suis sûre c'est que l'Homme a définitivement perverti tout ce qu'il pouvait y avoir de bien dans la religion.

Quand je pense que ces gens se targuent de vouloir protéger les enfants, et qu'ils ne pensent pas une seule seconde au mal qu'ils font à ces mêmes enfants, qui vivent heureux entre leurs 2 mamans ou leurs 2 papas, et qu'on agresse tout à coup pour leur expliquer que leur famille n'en est pas une, qu'ils finiront à coup sûr violés, psychotiques ou délinquants... Que pensez-vous que ça leur fasse à ces gosses, de voir et d'entendre tous les jours leur famille stigmatisée et diabolisée sur toutes les chaînes de télé...

Je rêve d'un jour où l'être humain aura enfin appris à ACCEPTER LA DIFFERENCE, et aura compris que PERSONNE ne détient la vérité suprême...

Ça me parait tellement évident qu'il vaut mieux être désiré, grandir, être choyé et éduqué par une famille homoparentale aimante et équilibrée que d'être malmené, négligé par des parents hétéros...
Les familles homoparentales seront juste COMME les hétéroparentales, ni meilleures ni pires. Il y en aura des stables et des dysfonctionnelles. Comme les autres! 

Pour finir, aujourd'hui nous sommes un dimanche 21 avril. Date qui résonne à mes oreilles, et me rappelle bien sûr un autre funeste 21 avril... A l'époque, je votais pour la première fois pour mon président, et j'avais regretté d'avoir voté comme j'avais voté, car c'était en partie par ma faute que le candidat du PS n'avait pas franchi la barre du 1er tour.
Aujourd'hui au final, je suis plutôt fière de mon choix de l'époque, car si ma mémoire est bonne, j'avais voté pour une certaine Christiane Taubira...


Comme d'habitude, ce billet reflète MON opinion, et n'engage que moi. Vous avez parfaitement le droit de ne pas être d'accord, et même de me le dire, tant que la courtoisie et le respect sont au rendez-vous. Mais je ne tolérerai pas les propos injurieux. Merci à vous.

© Dr Kalee


mardi 16 avril 2013

Le terrain, ben oui c'est celui là qu'on veut.

Après 6 mois sans avancement sur le projet de MSP, nous avons eu une réunion avec les professionnels dont le Dr Kalee (dont c'était la première vraie réunion sur le sujet) et moi-même ainsi que le maire et un de ses conseillers.

L'objet de la réunion était de discutailler du terrain potentiel où faire construire la maison de santé.

Pour rappel, nous avions déjà décidé du terrain il y a 1 an, mais l'urbaniste et probablement d'autres membres du conseil municipal trouvaient qu'il y avait un autre terrain qui serait bien mieux.

Le premier terrain nous semble bien avec une exposition sud, des possibilités de stationnement, et il rentrerait dans un projet immobilier global avec des constructions de logements sociaux, de logements à accession sociale et de logements à accession libre via le promoteur/bailleur social. Il est néanmoins un peu excentré (mais attention, on parle d'une ville de 4000 habitants max et d'un terrain à 5 min à pied du centre ville).

L'autre terrain que l'on voulait nous proposer, a pour certains (pas nous) l'avantage d'être à côté de la maison de retraite, et d'être en plein milieu du centre ville, sauf que les stationnements ne sont pas vraiment prévus (ou possible), l'exposition est nord, mais là l'urbaniste a répondu majestueusement au maire que de toute façon les professionnels de santé s'empressent de mettre des stores ou rideaux sur les fenêtres de leur cabinet donc c'était pas la peine de prendre en compte ce facteur ("ils veulent qu'on bosse dans un placard à balai?" citation véridique d'un des professionnels un peu échaudé en aparté).
Avec Dr Kalee, nous n'étions pas très chaudes d'être juxtaposée à la maison de retraite (trop de proximité marque difficilement la différence d'exercice dans la tête des gens, les IDE auraient compris mais les familles pas sûr, ça nous aurait occupé nos papis et mamies mais nos faits et gestes auraient été relayé sur Radio MDR) et puis de l'autre terrain on n'est qu'à 5 minutes (mais oui c'est moins central, il va falloir prendre la voiture au moins).

Donc nous avons finalement décidé tous ensemble que nous choisissions le terrain initial.

Ca avance!! A grands pas oui!!

Nous comptons bien sur le maire (qui a moins d'un an de mandat) pour faire avancer le projet.
A priori, il devrait appeler le promoteur pour lui faire faire le projet immobilier concret (avec les prix).

Et nous les professionnels, nous apprenons à nous connaitre, nous nous formons (j'ai été avec la sage-femme du projet ce week-end à une formation sur les maisons de santé, ça me fait penser qu'il faut que j'envoie le compte-rendu au groupe)

Suite de nos aventures au prochain épisode (oui je sais la diffusion des épisodes est très rare, mais précieuse :))

Dr Paragliding, capitaine du bateau (Grande traversée en eaux profondes et tumultueuses)

lundi 8 avril 2013

La normalité, c'est très surfait...

Ça fait un moment que je me pose des questions sur le bien-fondé et surtout la bonne utilisation du dépistage prénatal de la Trisomie 21.

Personnellement, pour GrandMarmot, je ne l'ai pas fait. J'avais 26 ans, et un souvenir marquant de mon stage de gynéco d'externe. Une jeune femme de 26 ans, venant subir une amniocentèse car le résultat du test sanguin était à 1/250. Elle faisait peine à voir tellement elle était affolée, et je m'étais promis que cela ne passerait pas par moi. Puis j'ai dû oublier, et j'ai un peu vieilli. Et puis M. Kalee ne partage pas toujours mon insouciance. Alors pour PetitMarmot je l'ai fait. Heureusement RAS.

Je ne suis pas fondamentalement contre l'existence de ce test. Par contre je dois avouer que je suis assez mal à l'aise de la façon dont on le présente aux femmes, et de ce qu'il enclenche comme conséquences.

Ce test, on doit le proposer à toutes les femmes enceintes, et pour bien faire le job, il faudrait accompagner sa prescription d'un bon quart d'heure d'explications et de discussion avec la femme (ou mieux, le couple). Soyons francs, c'est rarement le cas.
Juste pour rire, voici comment ça s'est passé pour GrandMarmot (suivi par Mme gynéco libérale, cf article pré-précédent): "Tenez, signez-là, c'est pour le dépistage de la trisomie 21." "Euh oui, mais en fait je ne souhaite pas le faire" "Ah bon? Quelle drôle d'idée! Bon ben alors remplissez moi quand même le papier, en précisant que vous ne voulez pas faire le test. Qu'on ne vienne pas me reprocher de pas vous l'avoir proposé quand vous aurez votre petit trisomique." Hum. Je me suis bien sentie écoutée et respectée dans mes convictions. 

Combien de femmes/couples sont informés que le résultat ne veut pas dire oui/non, mais une estimation de risque? Que si risque il y a, l'étape suivante est l'amniocentèse (ou autre type de prélèvement selon le terme de la grossesse)? Qu'un bon résultat au test n'écarte pas complètement le risque? Que l'amniocentèse comporte un risque de fausse-couche non négligeable? (Je ne veux pas dire de conneries, et je n'ai plus les chiffres exacts en tête, mais il me semble autour de 1%) Que pour un enfant trisomique dépisté, on perd un enfant "normal"? (pareil, je ne peux pas vous sourcer ce chiffre, je l'ai appris en cours. J'espère qu'il est toujours juste? Si vous avez des chiffres officiels et à jour, je suis preneuse.)

Dans la série des chiffres que je sais pas d'où ils viennent, on me dit dans mon oreillette qu'à l'heure actuelle 96% des enfants trisomiques dépistés ne voient pas le jour. Je sais pas, mais moi ça me pose question. Je ne nie pas du tout que la Trisomie 21 soit un handicap grave. Mais je pense que c'est un handicap qui dérange plus la société que son porteur. J'ai vu un jour parler à la télé un grand ponte de la médecine prénatale (là encore ma mémoire me fait défaut, je dirais que ça devait être soit I. Nisand soit R. Frydman), et ce qu'il a dit m'a marqué (plus que la personne en tout cas!): "la majorité des trisomiques sont heureux!"
Effectivement, les quelques trisomiques qu'il m'a été donné de soigner n'avaient pas l'air plus malheureux que ça. Un de mes maîtres de stage d'internat était papa d'un petit garçon trisomique (non choisi car dépisté à la naissance), et il ne le regrettait pas.
Alors bien sûr, en tant que parent, c'est difficile d'imaginer élever un enfant qui ne saura peut-être jamais lire ni écrire, qui ne sera jamais indépendant. Que deviendra-t-il quand on ne sera plus là? Qui viendra nous relayer quand nous serons épuisés?
Et puis oui, les enfants trisomiques sont plus à risque de pathologies cardiaques (M. Kalee a dû soigner pendant son internat un jeune homme trisomique d'une vingtaine d'années, souffrant d'une cardiomyopathie terminale, ça l'a un peu traumatisé), de leucémie aussi. Oui, c'est vrai. Mais est-ce suffisant pour ne même pas leur donner leur chance? 

Actuellement, en France, on le sait, les capacités d'accueil des handicapés, qu'ils soient enfants ou adultes, sont loin d'être adaptées.
Moi, ce que je comprends de cet état de fait, c'est ça: On vous donne la possibilité de savoir avant la naissance si votre enfant est trisomique. S'il l'est, vous avez la possibilité de ne pas le garder. Alors si vous décidez de le garder, ou si vous prenez le risque de ne pas savoir, eh bien après, vous assumez. N'attendez pas que la société vienne vous aider. Vous serez seuls pour vous démerder.
Pas très rassurant. Je comprends fort bien que présenté comme ça, bien des parents ne se sentent pas les épaules d'assumer. Perso j'y réfléchirai aussi à deux fois.
La société française n'a aucune place à proposer aux handicapés en général et aux trisomiques en particulier.

Laissez-moi vous conter une petite anecdote. L'un de mes pires souvenirs d'internat fut justement le théâtre d'une annonce diagnostique de trisomie 21.
J'étais interne en dernier semestre, en stage ambulatoire, et en complément de mes journées en cabinet de MG, je faisais une fois par semaine des consultations de gynéco-obstétrique à l'hôpital.
Ce jour-là, avec ma "tutrice", nous devions voir un couple pour leur annoncer que leur enfant était trisomique. Nous étions au coeur de l'été, et la gynéco qui suivait ce couple habituellement était en vacances. Le diagnostic leur serait donc annoncé par une gynéco qu'ils ne connaissaient pas, flanquée d'une interne qu'ils ne connaissaient pas. Déjà ça partait mal. C'était un couple "recomposé", la dame avait 39 ans ou à peu près. Ils s'étaient dit, tiens, si on se tentait un petit, après il sera trop tard.
On s'était installé dans le bureau de consultation. Je ne sais plus à quel terme était madame, mais son ventre était déjà bien rond. L'atmosphère était à couper au couteau.
Je ne sais plus comment la gynéco a amené le truc, mais au bout de quelques minutes les mots étaient dits: "Trisomie 21". Madame a éclaté en sanglots, Monsieur a lâché un "Putain!".
Manifestement la gynéco ne savait pas comment enchaîner. Moi je me sentait tellement mal à l'aise que j'aurais voulu me fondre dans le mur derrière moi.
Au bout de quelques instants, la gynéco a prononcé ces mots: "Bon, alors certaines personnes désirent les garder, pour des raisons religieuses le plus souvent, mais bon." Et d'embrayer sur l'organisation de l'interruption de grossesse. Je dois dire que je suis restée horrifiée par cette façon de présenter les choses. J'ai suivi le reste de la consultation au radar, tellement j'étais sur le c.. d'avoir entendu ça. Les parents sont ensuite partis avec la surveillante de la mater pour les détails logistiques.
J'avais envie de leur courir derrière et de leur dire "Attendez! Vous êtes sous le choc de l'annonce. Il ne faut surtout pas prendre de décisions sous le choc d'une annonce. PRENEZ DU TEMPS. Réfléchissez. Il n'y a pas urgence. Discutez entre vous, contactez des gens qui ont un enfant trisomique, parlez avec eux!"
Alors j'en sais rien, peut-être qu'ils avaient déjà fait tout ça avant, en attendant le résultat. Mais putain, pas UNE FOIS la gynéco n'a abordé avec eux la possibilité de le garder, sauf de la façon suscitée, ou même de prendre plus de temps pour réfléchir. Non, pour elle la décision avait l'air d'être simple et limpide.
Comment voulez-vous, avec une présentation pareille, que les parents arrivent à prendre du recul, à se laisser le temps de digérer la nouvelle avant de prendre une décision?

Je ne sais pas comment je réagirais si on m'annonçait ce diagnostic. Pour ce genre de chose, on ne peut jamais savoir comment on réagirait avant d'être confronté au problème.
Mais j'imagine. Je pense que je pleurerais, oui très certainement. Tout un futur remis en question, ça mérite bien ça.On en parlerait avec M. Kalee, les yeux dans les yeux. J'imagine que je convoquerais un conseil de famille, pour leur annoncer et savoir ce qu'ils en pensent. Seraient-ils prêts à nous soutenir si on décidait de le garder? Je rappellerais mon ancien maître de stage pour le revoir, en parler avec lui. J'irais rencontrer des gens dans des associations, parler avec des parents qui vivent avec ces enfants, histoire d'appréhender ce que c'est vraiment au quotidien. Ensuite je prendrais le temps de réfléchir. J'espère que M. Kalee et moi trouverions un terrain d'entente.

Je sais que c'est dur à gérer pour les familles. Mais je reste persuadée que si la société voulait bien offrir une place à ces enfants, et à ces adultes, si les parents savaient qu'ils seront épaulés, qu'ils auront une place facilement dans une institution adaptée au degré de handicap de leur enfant, que ce ne sera pas toujours le parcours du combattant pour l'inscrire à l'école, pour avoir une AVS... je pense que plus de gens tenteraient l'aventure. Plus de familles accueilleraient ces petits pas comme les autres, mais aussi riches, voire bien plus riches que les autres, et souvent débordants de joie de vivre.
Manifestement la société française a fait son choix, et ce n'est pas celui-là. Ça me rend triste de penser que nous nous privons d'autant d'enfants aussi dignes d'être aimés que les autres, et qui pourraient nous apprendre bien des choses.
Comme je disais dans mon post précédent, la normalité c'est très surfait. (Je crois que cette phrase va devenir ma devise!)

Bien, pour clore ce billet, sachez que ce texte ne reflète que MON opinion, et je n'oblige personne à la partager. Si vous n'êtes pas d'accord, vous avez le droit de le dire, ou pas, comme vous voulez, mais merci de rester COURTOIS.
Si vous êtes parent ou si vous vous occupez d'enfants trisomiques et que vous souhaitez nous faire partager votre témoignage, ce sera avec plaisir.

Comme d'habitude, quelques liens pour finir:
http://www.ladifferenceestunechance.com/ Elle est pas choupi cette minette?? Lisez les témoignages de parents. On trouve aussi des références de livres pour enfants et adultes pour s'informer sur la Trisomie 21.
Trisomique... et alors! Campagne internationale
Un blog animé par des parents d'enfants trisomiques.
Eléonore, une belle jeune femme
Parfois, un trisomique est capable de faire ça. C'est juste Génial.


Edit du 10/04/2013

J'aimerai apporter quelques précisions car il semble que certains de mes propos aient été mal interprétés. J'ai eu beaucoup de commentaires sur cet article par mes relations twitterales, qui m'ont fait réaliser que ce que je voulais dire peut parfois être compris de travers. Il est compliqué de restituer précisément sa pensée sur un sujet aussi sensible, et je me rends compte que l'intonation avec laquelle on pourrait dire quelque chose par oral est très importante pour la compréhension du sens du message, ce qui bien sûr à l'écrit est réduit à zéro.

Alors quelques éclarcissements:
Je n'ai jamais souhaité pointer du doigt ou stigmatiser les parents qui ont fait le choix de mettre un terme à la grossesse après un diagnostic de T21. Je le comprends tout à fait, et cela ne me choque pas. Il est même possible que j'en vienne à faire ce choix si je m'y retrouvais confrontée. Ce qui m'interroge c'est la systématisation de ce processus (96% quand même), et le fait que le corps médical et la société toute entière poussent les parents dans cette direction, implicitement bien entendu, par la façon de présenter le "choix", (qui dès lors n'en est plus vraiment un), et par l'absence de structures aidantes pour ceux qui décideraient du choix inverse.
On me fait remarquer sur Twitter, je cite: ""La différence est une chance". Désolée mais dans notre société non." Oui, tout à fait, et c'est justement ça, l'objet de mon questionnement. C'est le fait que la société fasse en sorte de rendre la vie de ces familles impossible, de sorte que le seul choix "raisonnable" pour elles devienne l'interruption de grossesse, et permette ainsi d'économiser le coût de la prise en charge médico-sociale correcte de ces enfants.
Je suis persuadée que si les parents savaient que des places seront facilement disponibles en institution adaptée, que leurs enfants, s'ils en ont la capacité, trouveront facilement une place dans une école avec les aménagements nécessaires, s'ils savaient enfin que les structures existent pour prendre en charge le trisomique adulte afin que la prise en charge ne se répercute pas sur la fratrie, un plus grand nombre pourraient décider de poursuivre la grossesse.
Malheureusement notre société en a décidé autrement, et de là je comprends tout à fait que des parents souhaitent éviter à leur enfant, leurs autres enfants et à eux-mêmes une vie de galère.

Un autre point que je souhaite éclaircir:
On m'a fait remarquer qu'un certain nombre des liens que j'ai mis en bas d'article peuvent amener à se retrouver sur le site de la Fondation Jérôme Lejeune, une fondation qui s'occupe de promouvoir la recherche médicale sur les maladies génétiques, mais qui est également inscrite dans une politique pro-vie à tout prix et notamment anti-IVG. Ceux qui me fréquentent sur Twitter savent bien que je ne défend aucunement ce genre de thèse. L'IVG et l'IMG sont pour moi des droits fondamentaux, et comme disait récemment une de mes twittamies (@mamanstestent si je me souviens bien), je serais prête à descendre à poil dans la rue pour les défendre. J'espère que ça ne sera pas nécessaire, parce que comment dire, à poil dans la rue, hum... Je pense que je serais pas super à l'aise...
J'ai hésité entre supprimer ces liens et les laisser. J'ai décider de les laisser, pour que vous puissiez prendre connaissance de tous les acteurs du dossier, et pour montrer que sur des questions aussi délicates et sensibles, le glissement idéologique survient rapidement, et qu'il faut donc toujours rester vigilant. A bon entendeur...