lundi 20 mai 2013

Le choc des Cultures, ou "Fallait pas l'inviter"

J'aurais pu mettre comme sous-titre "Ou Comment distinguer le FauxNain du VraiMarmot".

Par une belle journée de printemps, sise le lundi de Pentecôte, jour encore férié, deux futures associées se disent, tiens, nous sommes toutes deux aujourd'hui seules avec notre progéniture, mettons donc nos solitudes en commun, passons la journée ensemble. Les enfants feront plus ample connaissance, en jouant gentiment pendant que leurs mères papoteront tranquillement.
Oui, mais non. C'est mal connaître les MarmotsKalee.
Il faut dire que DrParagliding et moi, on n'a pas la même recette pour les enfants. DrParagliding a engendré un FauxNain, actuellement âgé de 2 ans et demi. Si vous n'êtes pas familier avec le concept de FauxNain, je vous laisse vous cultiver sur l'excellent blog de ma twittcopine Marie Perarnau, par ici. Ça y est, vous avez lu? Voilà, donc le fils de DrParagliding, c'est un Fauxnain.
Les miens par contre, ce sont de VraisMarmots. Tout ce qu'il y a de plus vrai. Pur jus. Pour vous remémorer les forces en présence, nous avons donc GrandMarmot âgé de 5 ans moins 2 mois, et PetitMarmot, âgé de 2 ans et 1 mois.

Laissez-moi maintenant vous conter cette folle journée (enfin pour elle et son mâle, parce que moi, j'ai l'habitude...)
Nous arrivâmes donc chez les Paragliding sur le coup de midi trente. A midi trente, le Marmot comme tout vrai marmot qui se respecte, a faim. Selon la règle des 3 F, à nouveau énoncée par ma chère Marie des Mamanstestent, le marmot qui a faim est fiant. (Les 3 F c'est pour Faim et/ou Fatigue = Fiant).
Au début, ce fut gérable, car l'attrait de la nouveauté (aka la chambre bien rangée du FauxNain) eut son petit effet. Les Marmots s'empressèrent donc d'ouvrir et de vider TOUTES les caisses de jouets. Une fois cela fait, trônant au milieu de 1453 jouets, les Marmots décidèrent qu'ils voulaient jouer tous les deux avec CELUI-LA, et pas un autre. Cris, hurlements, etc... Pendant ce temps-là, le pauvre FauxNain se demandait bien quelle tornade avait déboulé dans sa chambre.

Scène suivante, nous passons à table. Le FauxNain, dans sa Faussenanitude, mange de tout, à peu près proprement, et demande la permission pour sortir de table (OUI OUI!!). Je vous laisse deviner ce que donne le repas des VraisMarmots. Je vous dis juste qu'ils sont capables par esprit de contradiction de refuser de manger des fraises. Oui ça va loin...

Après le repas, le FauxNain part à la sieste. Gentiment, il se couche, ne pleure pas, et s'endort. De mon côté, GrandMarmot ne fait évidemment plus la sieste depuis environ 1 siècle et demi, mais PetitMarmot la fait, normalement. Nous voici donc en train d'installer le lit parapluie, pleines d'espoir. Manière douce, manière forte, rien n'y fera, PetitMarmot a décidé qu'aujourd'hui la sieste ne passera pas par lui (il faut dire qu'il a dormi AU MOINS 7 minutes dans la voiture en arrivant, c'est donc amplement suffisant à son goût).

Nous voici donc occupées à occuper deux VraisMarmots pendant que FauxNain fait sa vraie sieste. D'où l'idée de DrParagliding, de faire un gâteau au chocolat. Nous voici donc tous les quatre affublés de tabliers de cuisine (pour info quand on fait de la pâtisserie chez moi, personne ne met de tablier... Oui chez les Kalee on AIME être crades!)
Sauf que DrParagliding, elle a l'habitude de faire des gâteaux avec UN FauxNain, et pas avec DEUX VraisMarmots. Elle a même prévu de faire un glaçage, c'est dire! Sauf que eux n'ont pas du tout l'intention d'attendre que la pâte soit terminée et enfournée pour gentiment lécher le saladier. Non, eux ils goûtent à CHAQUE étape de la préparation. (Y compris la farine seule, parce que oui c'est bon de manger de la farine seule!) Et puis alors dès qu'on a mis le chocolat dedans, alors là c'est la course contre la montre pour arriver à enfourner un peu de pâte avant que PetitMarmot ait tout ingurgité. GrandMarmot lui s'est déjà désintéressé du processus.
Sur ces entrefaites, M.Paragliding, qui était parti paraglider (normal...) est rentré, car pas de paragliding pour cause de vent trop violent. Le FauxNain a fini sa sieste.
GrandMarmot décide donc qu'il serait grand temps de se mettre collectivement à faire le tchoutchou dans tout l'appartement en se tenant par la taille. Les récalcitrants sont punis de la peine des chatouilles.
Le sourire de M.Paragliding a tendance à se crisper un tantinet.

On arrive à les faire tenir assis 5 minutes à table devant une part de gâteau au chocolat (avec glaçage).
PetitMarmot engloutit la sienne sans autre forme de procès (oui le chocolat est sa passion). Par contre GrandMarmot fait sa mijaurée, et exige que je retire le glaçage (le glaçage c'est pas bon! Humm, après tant d'effort, DrParagliding apprécie...)

Après ça, la situation devient rapidement Out Of Control. Devant la follitude ambiante, il est urgent d'aérer le VraiMarmot. Allons donc donner du pain rassis aux biches du parc d'à côté.
La mise des pulls et des chaussures vire au pugilat. GrandMarmot trouve ça sympa de marcher avec ses chaussures en tapant bien fort les pieds par terre. Oui, lui il vit en maison. Pour mémoire, ici on est au 2e étage, et y'a dans l'entrée un petit mot sympathique du style "pour mieux vivre ensemble, blablabla, attention au bruit blablabla, cris et jeux d'enfants blablabla". Toi aussi fais toi détester par les voisins...
Et puis, ce que GrandMarmot fait, PetitMarmot l'imite. C'est une loi biophysique incontournable. Toi aussi fais toi... DEUX fois.
Le regard de M.Paragliding est de plus en plus affolé, il est grand temps de débarrasser le plancher, avant qu'il fasse promettre à sa chère et tendre de ne JAMAIS faire de 2e enfant. 
Pour que le mâle en arrive à dire "Non, c'est bon, je rangerai", c'est que l'heure est grave. Traduction: "Faites-moi disparaître ces fous furieux ASAP".

Next stop, parc aux biches. FauxNain donne gentiment les morceaux de pain aux biches. PetitMarmot ramasse les morceaux de pain rassis par terre pour les manger lui-même (c'est vrai qu'un quart de gâteau au chocolat ça vous cale pas...).
GrandMarmot laisse sa chaussure collée dans la boue, et continue son trajet en chaussette. Il termine donc la sortie pied nu dans sa chaussure (pour mémoire il doit faire environ 12°).
Une fois le pain bouffé par les biches, passons à l'aire de jeux. Le FauxNain fait gentiment de la balançoire, en se tenant bien comme il faut (non, j'avoue, il est tombé une fois, tout n'est pas perdu...)
PetitMarmot jette des cailloux sur le toboggan, et doit bien sûr expérimenter TOUS les agrès de l'aire de jeux, même ceux qui sont clairement pour les plus grands. Maman est donc préposée à l'assurance afin que l'on ne termine pas cette mirifique journée aux urgences pour trauma crânien. Maman termine avec un bon lumbago.

Bon, c'est pas tout ça, mais il se fait 18h, nous allons donc reprendre la route.
Faisons nos adieux, tentons d'échanger en douce le FauxNain contre un VraiMarmot, non ça marche pas...
Par miracle, les VraisMarmots s'endorment TOUS LES DEUX dans la voiture, je savoure donc 20 minutes de silence.

Et ce soir, alors que je tente de coucher mes deux furies (oui, toi aussi tente de coucher deux marmots qui veulent impérativement te faire un câlin d'amour EN MÊME TEMPS, sous peine de hurlements geignards à type de Mamaaan!!!), j'imagine le FauxNain, dormant gentiment dans son petit lit, après s'être gentiment couché sans faire fier.

J'imagine M.Paragliding qui reprend doucement ses esprits, en demandant à sa femme, "euh, c'était QUOI, ça??"
Eh oui, le VraiMarmot, FALLAIT PAS L'INVITER!!!

jeudi 9 mai 2013

Etre Femme et Médecin. Etre mère et médecin.

Il est loin le temps de Dr Quinn, femme médecin. De l'eau a coulé sous les ponts, on a changé (2 fois) de siècle. Les promos d'internes d'aujourd'hui sont composées d'environ 2/3 de femmes. Dans ma promo (ECN 2006), c'était a peu près moitié moitié. Les promos d'internes de médecine générale, d'ici peu, seront probablement à 75% féminines. Et pourtant...

Être femme et externe, c'est supporter sans broncher les blagues sexistes bien lourdes du chirurgien au bloc, pendant qu'on essaye tant bien que mal de ne pas faire un malaise à force de tenir sans bouger cette jambe de 40kg depuis 1h30...

Être femme et externe, c'est entendre des choses du genre: "Ah, tu veux faire chirurgie/réa/urgences? T'es sûre? Pourtant dermato/rhumato/radiothérapie, c'est mieux pour une femme. Pas de gardes, pas d'astreinte, tu peux t'occuper de tes enfants."

Être mère et externe, c'est... quasiment impossible, à moins d'avoir un conjoint qui peut faire vivre la famille, ou d'être TRÈS inventive financièrement.

Être enceinte et interne, c'est se faire détester par ses co-internes, parce qu'on ne pourra plus assurer son tour pour les gardes de nuit. Et donc qu'ils/elles devront bosser plus. 

Être mère et interne, c'est perdre son classement dans sa promotion au retour de son congé maternité. Et choisir ses prochains stages en dernier. Et se retrouver donc avec un nourrisson et un stage pourri/très loin.

Être femme et médecin, c'est passer 30 minutes avec un patient, qui va devant vous décrocher le téléphone et dire à son interlocuteur: "attends, je te rappelle, je suis avec l'infirmière". Parce que femme en blanc=infirmière. Rhaaaa BORDAYL! Peu importe que vous ayez un badge, que vous vous soyez présentée, que vous ne fassiez pas DU TOUT la même chose que l'infirmière. (Notez bien en passant, que je n'ai absolument RIEN contre les infirmières, que j'admire beaucoup. C'est juste le cliché qui m'énerve.)

Être femme et médecin, c'est passer 30 minutes à interroger et examiner un patient, puis lorsque vous avez fini, l'entendre vous demander: "D'accord, merci, madame, mais quand est-ce que je vois le médecin?" Mais BORDAYL C'EST MOI LE MÉDECIN!!
Dans la même veine, vous avez le patient qui tape un scandale parce qu'il n'a "pas vu le médecin de toute la semaine", alors que vous êtes allée le voir 2 fois par jour. Tous les jours.

Être femme et médecin, c'est faire le tour en équipe, et voir votre patient s'adresser uniquement à l'externe, seul représentant masculin de l'équipe, parce que ça doit être lui, le médecin.

Être femme et médecin, c'est devoir répondre à la question: "Merci, madame. Madame ou mademoiselle?" Mais en quoi ça vous regarde! MERCI DOCTEUR, ça ira très bien!

Être femme et médecin, c'est acquérir une nouvelle légitimité auprès des parents de vos jeunes patients une fois qu'ils savent que vous avez vous-mêmes des enfants. Ce qui en soit ne me choque pas tellement, si ce n'est que je n'ai pas l'impression que les hommes soient soumis à cette dichotomie parent/non parent.

Être femme et médecin, c'est être responsable de la désertification médicale. Parce que les femmes, elle travaillent à temps partiel. Elles ferment le cabinet à 18h. Elles ne travaillent pas le mercredi. Elles ne veulent pas faire de gardes. Il faut 2 médecins femmes pour remplacer un homme qui prend sa retraite. Et ça, PERSONNE n'y a pensé avant...

Être femme et médecin libérale, c'est se dire: j'aimerai avoir un enfant, mais est-ce que je peux me permettre de m'arrêter plusieurs mois? Vais-je trouver un remplaçant? Pourrais-je continuer de payer les charges de mon cabinet? Aurais-je assez de revenus pour vivre? Et si la grossesse ne se passe pas bien, et que je dois m'arrêter plus tôt?

Être mère et médecin, c'est se dire: comment vais-je faire garder mon enfant? Vais-je trouver une nounou qui accepter de garder plus tard que 19h? Et si je dois faire des gardes de nuit/week-end?

Être mère et médecin, c'est se demander: vais-je tenir le coup? Et si je passe une/des nuits pourries parce que mon enfant est malade, serais-je à la hauteur pour soigner des gens le lendemain sans faire d'erreur? Et si ce n'est pas le cas, qui me remplacera? Personne. Il faudra tenir le coup.

Être mère et médecin, c'est culpabiliser de retrouver ses enfants le soir parfois après 20h, de ne pas être la personne qui va les chercher à l'école, leur donne le bain, les fait manger. C'est culpabiliser de ne jamais pouvoir accompagner les sorties scolaires. C'est culpabiliser de parfois les laisser aussi le week-end pour assurer une garde.

Ou alors, on décide de prendre le temps de pouvoir faire toutes les choses ci-dessus, et c'est alors culpabiliser quand on entend les patients ronchonner. "Vous n'êtes pas là tous les jours. Alors il faut choisir quel jour on est malade, c'est ça?" "Moi je travaille, je ne peux pas venir avant 19h". Oui, eh bien moi je ferme à 18h30.

Être mère et médecin, c'est parfois recevoir une mère qui demande: "Docteur, mon enfant a 6 mois, il ne fait pas ses nuits, c'est pas normal. Comment dois-je faire pour qu'il dorme?" Et rigoler dans son for intérieur "Ahaha, si tu savais, le mien il en a 15, et il dort pas non plus! Tu penses bien que si j'avais la réponse, j'en serais pas là!" Et lui donner plein de conseils en ayant l'air très convaincue, mais en pensant bien fort que de toutes façons le gamin dormira bien quand il aura envie de dormir.

Être mère et médecin, c'est parfois se dire: "Mon enfant a de la fièvre/des ganglions/saigne du nez, mon dieu, et si c'était une leucémie?" C'est être juge et partie. Se dire, il faudrait que je le montre à un confrère. Non mais ils sont déjà assez occupés comme ça, je vais pas les déranger pour cette bêtise. Je me fais des idées. MON enfant ne peut pas avoir une leucémie/une méningite/la tuberculose. Ou peut-être que si. Bon, attendons un peu.

Être mère et médecin, c'est parfois (rarement heureusement), devoir annoncer à des parents que LEUR enfant, lui, a VRAIMENT une leucémie. Ou recevoir des parents qui ont perdu leur enfant. Et tenter de rester professionnelle, malgré l'image de la petite bouille chocolatée qui s'immisce dans votre tête, malgré la gorge qui se serre, malgré les larmes qui montent. Et ne pas toujours y arriver.

Être mère et médecin, c'est parfois gagner l'estime et la confiance d'un gamin parce que vous avez su tenir une conversation à base de Finn McMissile ou de Dora et Babouche. (Faut bien que ça serve à quelque chose de se fader les dessins animés!)

Bref, vous l'avez compris, et femme/mère et médecin, c'est un défi. C'est exaltant, c'est prenant, c'est culpabilisant, c'est angoissant. Ce n'est jamais gagné. Mais ça vaut le coup.
Et les gens, il va falloir qu'ils s'habituent, hein, parce qu'ils n'auront pas le choix!
Because the times, they are a'changin'!

© Dr Kalee




jeudi 2 mai 2013

Apprendre son métier par les larmes (2e partie)

Je vous avais donc laissé en 4e semestre, au moment de ma pause bébé. Pause bébé qui elle-même fut riche en crises de larmes, mais bon, là au moins j'avais l'excuse des hormones, la fatigue, tout ça...

J'ai donc repris le boulot plusieurs mois plus tard, après un bébé et un déménagement, en stage de médecine générale en cabinet. Première expérience de la médecine non hospitalière, si l'on excepte les 2 jours qui j'avais passés chez un médecin généraliste en dernière année d'externat (médecin fort charismatique par ailleurs, qui fut plus tard mon directeur de thèse). Comment vous dire à quel point le choc fut rude. La rencontre avec la médecine ambulatoire, après plusieurs mois de pause cérébrale, fut très douloureuse. Cette impression de ne rien savoir, d'être pire que nulle... Que des pathologies et des traitements non enseignés à la fac. Ben oui, en cours on ne m'avait jamais appris à soigner des tendinites, des bronchites, des harcèlements professionnels...
Pendant quelques mois, je fus persuadée que jamais je ne serais capable d'exercer ce métier. Ce fut ma phase "nan mais de toutes façons je vais faire médecin de PMI".
Un jour, une consultation en particulier me fit vraiment ressentir cette incompétence que je me traînais. Nous étions dans la phase de supervision directe, c'est-à-dire que c'était moi qui menais la consultation, en présence de mon maître de stage, qui pouvait ainsi reprendre la main si nécessaire. Déjà, rien que cette configuration, travailler en ayant quelqu'un de plus compétent à coté de moi qui était témoin de mes errements, ça me mettait hyper mal à l'aise. Surtout que je ressentais, ou du moins avait l'impression de ressentir, qu'il me trouvait vraiment un peu limitée.
Donc ce jour-là nous avions en face de nous cette jeune femme d'une vingtaine d'année, manifestement pas hyper stable sur le plan psychologique, pas très heureuse dans sa vie en générale. Elle était venue consulter pour des problèmes de migraines récidivantes, mais mélangées avec des symptômes de crises d'angoisse, d'hyperventilation, de tétanie... Le cas typique de symptômes flous, intriqués, non systématisés, la consultation très difficile à débrouiller quand on n'a pas d'expérience. Je me suis complètement laissé noyer dans la masse des symptômes, et je perdais pied, si bien que mon maître de stage dut reprendre la main et cadrer un peu plus les choses. Lorsque la patiente eut quitté le cabinet, le maître de stage me fit une petite réflexion, très anodine à posteriori, mais qui appuya directement sur le sentiment d'échec énorme que je ressentais à ce moment-là, et ce fut la goutte qui fit déborder le vase. Les larmes se mirent à déborder, devant mon maître de stage stupéfait, qui se demandait bien pourquoi je me mettais dans un état pareil.
Après quelques minutes à prendre l'air dehors, il me demanda de reprendre ma place derrière le bureau, "parce qu'il ne faut pas rester sur un échec". Il avait raison.
Globalement, maintenant que j'ai (un peu) d'expérience, je n'approuve pas du tout la médecine qu'il pratiquait, à base de copinage avec tous les VM du coin, de Crestor, de Rhinadvil etc... Mais je lui sais quand même gré d'avoir eu beaucoup de patience et de persévérance, pour me permettre de dépasser mes carences, et de commencer à entrevoir la médecine générale. Même si j'ai dû depuis désapprendre une bonne partie des conduites à tenir que j'ai apprises chez lui...

En cinquième semestre, j'ai fait mon stage de pédiatrie, dans un petit hôpital (moins petit que le précédent cela dit, il y avait quand même plusieurs services de médecine et de chirurgie, des urgences avec une antenne SMUR une maternité niveau 1, et mon service de pédiatrie). Je vous en ai déjà un peu parlé ici. Globalement ce stage fut vraiment super, l'équipe médicale vraiment sympa et encadrante. Le stage hospitalier que j'ai le plus apprécié. Ce n'est pas tous les jours que se montent une chorale et un quatuor à cordes composés de médecins et internes de l'hôpital, pour faire une représentation devant les vieux de l'EHPAD d'en face, auxquels étaient mélangés les enfants placés de la pouponnière d'à côté. Si si, nous l'avons fait!
Bref, peu de motifs de craquage nerveux dans ce stage. Sauf qu'au début, quand tu es interne et que tu arrives dans un nouveau service, il y a toujours une phase d'apprivoisement de l'équipe infirmière. Tu dois faire tes preuves sur ta compétence médicale (oui, quand on met face à face un interne de médecine générale et des infirmières puéricultrices de 20 ans d'expérience, souvent ce ne sont pas les plus diplômés les plus compétents), ainsi que sur ta compétence "humaine", ou "hiérarchique", enfin, quelque chose de difficile à définir en un mot, qui pourrais se décrire ainsi: vas-tu être un interne sympa, qui respecte les codes du service (c'est-à-dire, principalement dire bonjour à toute personne que tu croise dans un couloir, quelque soit l'heure de la journée et si tu la connais ou non, ne pas marcher dans le mouillé, apporter de temps en temps des douceurs), ou vas-tu être un interne chiant, c'est-à-dire hautain, imbu de sa personne, qui ne parle pas au "petit personnel". En début de stage, il faut vraiment savoir marcher sur des oeufs pour trouver sa place sans froisser les susceptibilités locales.
Je me suis donc lancée dans une discrète stratégie d'amabilités envers l'équipe soignante, faisant des sourires et des bonjours à tout un(e) chacun(e) (oui les services de pédiatrie sont très pourvues en chacune et très peu en chacun, allez savoir pourquoi). J'essayais d'asseoir doucement ma légitimité, répondant aimablement à quelques tentatives plus ou moins discrètes de remises en cause de mes prescriptions. Il faut savoir que tout ce tralala me coûte beaucoup, moi qui suis d'un naturel plutôt timide et assez peu sûre de moi. Ces espèces de jeux de rôles imposés pour juger de la valeur d'une personne me mettent assez mal à l'aise.
Quoi qu'il en soit, après environ un mois et demi ou deux mois de stage, alors que je commençais à me dire que j'allais pouvoir lâcher un peu de lest et que l'intégration se passait plutôt bien, voilà-t-il pas que la chef de service me prend un jour entre quatre yeux pour me dire: tu sais, l'équipe m'a parlé un peu de toi, elles te trouvent assez froide, distante, pas très aimable... QUOI!!!! Après tous les efforts relationnels que j'avais faits!!! J'en suis restée bouche bée. A ce moment-là, un immense sentiment d'injustice devant tant d'efforts non récompensés.
Cet entretien continua à me travailler toute la journée, jusqu'au moment où, un peu plus tard, l'assistante me dit: ça va toi, t'as l'air pas dans ton assiette? Oups, fallait pas demander... Vlam, ouvrez les vannes, crise de larmes en vue...
Bon, j'en conviens, tout cela n'est pas très grave, et d'ailleurs, par la suite, les choses se sont très bien arrangées entre l'équipe et moi, et le semestre s'est terminé dans une ambiance de franche camaraderie blagueuse. Mais je dois dire que sur le coup, je n'ai pas très bien encaissé. Comme quoi, il est toujours délicat de se faire une place dans une équipe déjà constituée, et d'évaluer ce que les gens attendent que tu sois.

Et enfin, pour terminer, sixième et dernier semestre, nouveau stage en médecine générale, en autonomie cette fois. A l'époque on appelait ça SASPAS, maintenant je crois qu'on dit stage de niveau 2. En gros, le but est que l'interne passe très vite en supervision indirecte, c'est-à-dire assure seul les consultations, avec possibilité de joindre son maître de stage en direct en cas de difficulté, et débriefing des consultations en fin de journée. J'ai fait ce stage chez 3 médecins, assez différents de personnalité mais tous les trois très accueillants. Tous les trois adeptes d'EBM et non adeptes des visiteurs médicaux.
C'est là que j'ai réalisé que j'allais devoir désapprendre une bonne partie des réflexes que j'avais appris lors de mon premier stage. C'est là que j'ai commencé à apprendre la VRAIE médecine générale, enfin la vraie à mon sens.
Un des 3 maîtres de stage était vraiment attentionné, à l'écoute de son interne, mais en même temps, très minutieux dans sa façon de travailler, et limite psychorigide. Il faisait "comme ça", et il y avait pas à déroger. Il avait créé son propre logiciel médical (déjà, rien que ça... le truc de grand malade...), dans lequel l'interne avait sa propre session, et qui lui sortait en fin de journée toutes les actions que j'avais faites dans la journée. Il les passait ensuite toutes en revue une par une pour les discuter. Alors bien sûr ça part d'un très bon principe, mais quand il faut justifier le moindre détail de ce que tu as fais, à un moment ça peut devenir lourd. Surtout que sa façon de faire était à mille lieux de celle que j'avais apprise dans mon précédent stage, donc au début, je me faisais reprendre sur absolument TOUT. C'était un tantinet décourageant...
Bon, je suis pas bête, j'apprends, et petit à petit j'ai compris comment il fonctionnait, même si j'avais parfois du mal à m'y conformer (genre, monsieur maçon a un lumbago, raide comme un piquet, eh ben à la première consult c'est paracétamol et point barre. S'il a encore mal dans 48h il revient et on augmente le traitement. Bah oui mais là, juste c'est évident que ça va pas suffire le paracétamol. Oui mais non, c'est COMME ÇA. Bon.)
Donc j'essayais de faire les choses selon SES règles, j'y arrivais plus ou moins. Et puis à la fin du stage, je suis tombée enceinte (oui encore, j'en ai 2). Premier trimestre de grossesse, chez moi, c'est GROSSE fatigue et somnolence, et puis un peu de nausées, sinon c'est pas rigolo. Donc là j'avoue que le pinaillage de détail à 18h30 alors que j'avais lutté toute la journée pour pas m'endormir en face du patient, j'appréciais moyen. Alors le jour où il m'a fait une remarque (pas méchante hein, il n'était jamais méchant), sur un cas que je pensais avoir blindé au niveau règles de l'art maison, la cocotte a débordé. Je me rappelle parfaitement la scène, moi qui fond en larmes, lui qui, comme le premier maître de stage se demande bien ce qui se passe. "Vous inquiétez pas, c'est les hormones", lui ai-je dit. "Ah bon, pourquoi, t'es enceinte?" "Oui" "Ah bon, mais fallait me le dire!" Oui, désolée je l'ai même pas encore annoncé à ma famille alors... Bref, à partir de ce jour là il a été super compréhensif, m'a même renvoyé chez moi dormir un jour où j'arrivai au cabinet complètement décalquée (j'avais 45 min de route à l'époque). Rien à dire, un très bon MSU, impliqué, à l'écoute. C'est pas de sa faute si je me suis mise à pleurer, c'était LES HORMONES!


Voilà tout l'historique de mes exploits lacrymaux pendant l'internat. J'ai déjà eu suite au premier billet, quelques gentils commentaires sur Twitter à base de "oh ma pauvre, quel internat de merde", toussa. D'abord merci à ceux qui ont eu des mots gentils, mais je voudrais quand même rétablir la vérité. En vrai mon internat n'a pas été du tout si terrible que ça. Là je vous ai raconté les mauvais moments, mais il y en a eu pleins d'autres meilleurs. Globalement j'ai toujours pu choisir des stages corrects, par rapport à d'autres qui se sont vraiment retrouvés dans des situations merdiques. Certains de mes collègues de promo ont vécu des galères BIEN pires. Et je parle pas des internes de spé.
Et à toux ceux qui m'ont laissé des commentaires du type, "ah alors ça n'arrive pas qu'à moi? Je croyais que c'était moi qui était nul/le et mes collègues tous meilleurs que moi...", bah non! On est tous pareils (bon OK certains sont plus doués et/ou dégourdis que d'autres), mais globalement, jetés dans un grand bain sans avoir appris à nager, on se démerde comme on peut pour pas se noyer, et pas noyer les patients avec si possible.
En espérant que les choses s'améliorent, qu'on arrive enfin à mettre les gens en responsabilité PROGRESSIVEMENT (on y arrive très bien pour les élèves IDE, je vois pas pourquoi on ne pourrait pas le faire pour les externes/internes), et qu'enfin, les futurs médecins généralistes ne découvrent pas leur VRAI métier au bout de SEPT ans d'études à l'hôpital.
C'est pourquoi dès que je serais installée, j'aurai grand plaisir à accueillir des étudiants. Même si j'ai la trouille de me retrouver face à un étudiant beaucoup plus doué que moi, et de passer pour une quiche... (On ne se refait pas...)