mardi 28 avril 2015

La diversification alimentaire

Au cabinet, je suis beaucoup de nourrissons. Étant aussi comme vous le savez maman de 3 enfants dont un nourrisson, le domaine de la diversification alimentaire m'est assez familier.
J'ai entendu parler sur Twitter du concept de "Diversification menée par l'enfant", et ça m'a intéressée, vu que la diversification avec mon 2e fils a toujours été assez compliquée, et qu'aujourd'hui encore à 4 ans il a un régime alimentaire très peu divers (à base principalement de chocolat en fait...)
Et puis récemment j'ai lu ce formidable bouquin: Mon enfant ne mange pas de Carlos Gonzalez
Depuis je n'embête plus mon fils pour qu'il finisse son assiette. Et cela a renforcé ma motivation pour diversifier MiniMarmot de façon libre et sans contrainte.
Résultat à 8 mois il mange plus et plus varié que son grand frère... (Bon ok, il y a sûrement un facteur propre à chaque enfant...)

Du coup à l'aune de ces récentes lectures, discussions et expériences personnelles, j'ai rédigé pour le cabinet un document pour aider les parents à s'y retrouver dans la littérature fournie et parfois contradictoire sur le sujet. Je le partage ici, si ça peut servir à des parents ou à mes chers confrères/soeurs.

*Roulement de tambours*

Quelques conseils sur la diversification alimentaire

Entre 4 et 6 mois, commence la période appelée "diversification alimentaire", lorsque le bébé jusqu'ici nourri uniquement de lait (maternel ou artificiel), découvre les autres aliments.

Il existe de nombreuses recommandations sur la façon de procéder pour cette diversification, qui changent selon les époques, selon les pays, ou selon les médecins à la même époque et dans le même pays... Comment s'y retrouver parmi tous ces conseils contradictoires? Qui a raison? Probablement un peu tout le monde et un peu personne.

Je vous propose dans ce document quelques grands principes pour vous guider, à vous parents de l'adapter selon vos possibilités, votre rythme de vie et surtout selon votre enfant.

Il existe actuellement plusieurs "écoles" concernant la façon de diversifier l'alimentation des nourrissons.
La diversification "classique", que vous pourrez trouver en détail sur le site internet http://www.mangerbouger.fr/pour-qui-242/enfants/la-phase-de-diversification-6-mois-3-ans/, où l'on commence à 4 mois à proposer des soupes de légumes, puis des compotes de fruits, de façon très progressive, au biberon ou à la cuillère.
La diversification dite "menée par l'enfant", que vous pourrez découvrir sur le site http://www.diversificationalimentaire.com/, où l'on commence à partir de 6 mois, de façon beaucoup plus libre, en donnant directement des aliments solides que l'enfant peut porter à sa bouche lui-même.

Je ne pense pas qu'il existe UNE bonne façon de faire, d'ailleurs ces 2 méthodes peuvent tout à fait être mixées et utilisées simultanément.

Quand commencer?

Les recommandations internationales (OMS, UNICEF, Société Européenne de Nutrition Pédiatrique...), recommandent un allaitement exclusif (au lait maternel de préférence) jusqu'à 6 mois.
Les sociétés d'allergologie préconisent afin de limiter les risque d'allergies alimentaires d'introduire un maximum d'aliments entre 4 et 6 mois (il semblerait que cette période soit la plus propice en terme de tolérance immunitaire).
Il parait donc raisonnable de commencer à 4 mois si l'enfant semble intéressé et motivé par l'alimentation complémentaire, et d'attendre 6 mois dans le cas contraire. On peut aussi adapter selon le développement du bébé, son tonus (se tient-il bien assis, porte-t-il les objets à la bouche...).

Le lait

De toutes façons, l'alimentation complémentaire est et doit rester comme son nom l'indique "complémentaire", jusqu'à l'âge de 12 mois. Pendant cette première année de vie, l'essentiel des calories et besoins nutritionnels reste couvert par le lait, qu'il soit maternel ou artificiel.
Si l'enfant est allaité, on peut continuer à proposer la tétée à la demande. Il vaut mieux proposer la tétée avant l'alimentation solide, afin de ne pas induire un sevrage par une baisse de la consommation de lait. En cas d'allaitement maternel exclusif prolongé avec une alimentation complémentaire peu importante il peut être nécessaire de supplémenter en Fer. A voir avec le médecin de l'enfant. S'il est nourri au biberon, il doit boire au moins 500mL de lait par jour, en utilisant du lait infantile 2e âge (le lait de vache étant trop pauvre en Fer, et trop riche en protéines). Par contre à partir de 12 mois on peut utiliser du lait de vache, entier de préférence et non Demi-écrémé. Les laits de croissance n'ont aucun intérêt nutritionnel, d'autant qu'ils sont le plus souvent sucrés.
Si l'enfant refuse de boire du lait au biberon, ou à la tasse, on peut lui proposer à la place des laitages (fromage blanc, yaourts, petits suisses, toujours de préférence au lait entier).

Les fruits et les légumes

Il est possible de les proposer donc à partir de 4 mois ou 6 mois. Il n'y a pas d'ordre particulier recommandé ni de quantités minimales ou maximales. Respecter les goûts et les besoins de l'enfant. Les légumes peuvent être proposés en purée ou en soupe, ou écrasés à la fourchette. Dès que l'enfant sait saisir et porter des objets à la bouche, on peut lui proposer des légumes en morceaux (bâtonnets de carotte, de courgettes, bouquet de chou-fleur, haricots verts...). L'enfant n'en avalera probablement pas beaucoup au début, la majorité se retrouvera par terre, sur les vêtements, dans les cheveux. Cela n'a pas d'importance. L'enfant fait connaissance avec les aliments, les goûts, les textures et la mastication (il n'est d'ailleurs pas nécessaire d'attendre que l'enfant ait des dents). De même les fruits peuvent être proposés en compote (sans sucre ajouté), écrasés, ou cru en morceaux à grignoter. Privilégier si possible les fruits et légumes bio, et de saison.
Vous pouvez faire goûter à votre enfant tous les fruits et légumes qui sont au menu des adultes ou enfants plus grands.

Les céréales

Il est recommandé d'introduire le gluten (contenu dans tous les dérivés de blé: farine, pain, pâtes...) progressivement entre 4 et 7 mois. Selon ses capacités motrices et de mastication, l'enfant peut consommer du pain (un croûton un peu dur à sucer), du riz bien cuit, des pâtes bien cuites, de la semoule, et toute autre céréale. Par contre il n'y a pas d'intérêt à ajouter des céréales en poudre au biberon (notamment pour le biberon du soir, contrairement à l'idée reçue, cela n'aidera pas l'enfant à mieux dormir...)

Les protéines animales

Dès 4-5 mois l'enfant peut consommer du poisson (écrasé à la fourchette, consommé à la cuiller ou à la main), de la viande (mixée ou présentée en gros morceaux à prendre à la main), des oeufs (à la coque, omelette, dur...), des fromages. Il n'est pas nécessaire de consommer des protéines animales tous les jours. En dehors du lait, une fois par jour est suffisante. Un régime végétarien est d'ailleurs possible pour un nourrisson, à condition qu'il consomme en plus au moins 500mL de lait infantile ou équivalent en produits laitiers, ou allaitement maternel à la demande. Le régime végétalien n'est par contre pas adapté au nourrisson.

Les boissons

La seule boisson intéressante en dehors du lait est l'eau. Pour un nourrisson allaité à la demande, elle n'est même pas nécessaire. S'il a soif il prendra une petite tétée. Il est possible toutefois de proposer de l'eau si l'enfant a soif et que la mère n'est pas disponible ou ne souhaite pas proposer le sein à ce moment-là. Dans ce cas il vaut mieux proposer de l'eau à la tasse qu'au biberon.
Pour les nourrissons nourris au lait artificiel, il est possible entre les biberons de proposer de l'eau à volonté.
Il est possible de proposer après 6 mois des tisanes ou du thé léger. Par contre les boissons sucrées type soda, qu'elles soient gazeuses ou plates sont à proscrire avant l'âge de 3 ans.
Les jus de fruits (pur jus, sans sucre ajoutés), peuvent être proposés occasionnellement et en petite quantités.

Le sucre, le sel, les friandises

Les plats de légumes/viande/poisson doivent être cuisinés sans sel ajouté. Les fruits et laitages, sans sucre ajouté. Si l'enfant n'apprécie pas trop le laitage nature, il est préférable de le sucrer en ajoutant un peu de compote de fruit.
Concernant les friandises et pâtisseries, éviter autant que possible les produits industriels. Il est possible de faire goûter à l'enfant des pâtisseries maison, occasionnellement, en petite quantité. Il vaut mieux en rester aux produits simples et le moins transformés possible.

Petits pots, ou fait maison? 

Comme vous voulez/pouvez! 
Sur le plan nutritionnel, les petits pots pour bébé sont très équilibrés. Les teneurs en résidus de produits chimiques (pesticides...) sont très strictement contrôlés, et plus basses que dans les produits tout publics (compotes ou purées de légumes). On peut ensuite discuter de leurs qualités gustatives...
Si vous aimez faire maison, utilisez au maximum les ingrédients qui sont prévus au menu des plus grands, en adaptant la quantité et la texture. Privilégiez autant que possible les produits bio ou de filière raisonnée.  

Les quantités à proposer, le rythme des repas

Comme je l'ai déjà évoqué, l'alimentation hors lait est "complémentaire". Les besoins nutritionnels sont couverts intégralement par le lait jusqu'à 12 mois. Il n'y a donc pas de quantité minimale imposée. Les enfants, comme les adultes, ont des appétits très variables, et leur rythme et leurs besoins doivent être respectés. Si l'enfant n'est pas prêt à manger diversifié, il ne faut pas forcer la main. Attendez quelques jours/semaines, puis reproposez.
De même, le fait d'avoir des horaires fixes pour les repas relève d'une convention sociale, et non d'un besoin physiologique. Les petits enfants peuvent avoir besoin de faire de très petits repas, très souvent. Il est fort possible qu'un nourrisson continue à manger 5 à 6 fois par jour jusqu'à 1 an et même après.
Lorsque votre enfant ne veut pas finir son assiette, mais redemande à manger peu après, regardez son abdomen et tentez de vous représenter quelle taille peut faire son estomac. Vous réaliserez vite qu'on a souvent tendance à proposer des portions beaucoup trop grosses...

Quoi qu'il en soit, en conclusion

Quelle que soit la méthode que vous employez, la diversification alimentaire doit être une découverte pour l'enfant, un apprentissage progressif, qu'il doit pouvoir mener à son rythme et avec plaisir.
Un enfant en bonne santé sait combien il a besoin de manger, et ne se laisse jamais mourir de faim.
Pour cette raison, NE FORCEZ JAMAIS JAMAIS JAMAIS votre enfant à manger!

Un conseil de lecture au sujet de l'alimentation des enfants:

"Mon enfant ne mange pas" du Dr Carlos Gonzales aux éditions de La Leche League, disponible sur le site internet de La Leche League



Voilà, c'est tout. C'est volontairement pas très directif, loin des conseils de type "midi, 25g de courgettes, 1 c. à café de poulet" etc... Je suis intéressée par tous vos commentaires et remarques, je suis prête à éditer le document si besoin. 

jeudi 2 avril 2015

Tant va la cruche à l'eau...

Les consultations pour burn-out. Elles se ressemblent toutes. Nous en avons tant. Beaucoup trop.
Quand j'étais remplaçante et que je faisais des bonnes grosses semaines j'en voyais plusieurs par semaine. En rempla régulier j'en ai suivi plusieurs au long cours. Depuis mon installation, je n'ai pas encore beaucoup de patients mais j'en suis déjà deux.
A notre époque bénie où le management par la pression est devenue la norme en entreprise, quoi de moins étonnant... Les travailleurs frontaliers ayant tenté leur chance en Suisse sont les plus exposés.

La dernière en date, je l'ai vue ce matin, pour la deuxième fois, au bout de sa première période d'arrêt de travail de 15 jours.
Executive woman, la quarantaine soignée, 4 enfants, gérante d'une filiale d'une grosse société. Et là tout s'écroule.

Ces consultations ont toutes des points communs. Il y a des phrases que tous les patients me disent, et d'autres que moi je prononce à chaque fois.Il y a quasiment toujours des larmes.
"Docteur je n'en peux plus. Je ne dors plus, j'y pense toute la nuit. Je ne peux plus aller travailler. Dès le matin, dans la voiture, j'ai la gorge serrée/la boule au ventre/je pleure/j'ai la nausée..."
"J'ai donné xx années à cette entreprise, je me suis impliqué/e, j'y ai mis beaucoup d'énergie. Ça ne peut pas se terminer comme ça."
"Je n'ai plus aucune reconnaissance dans mon travail. Quand j'atteins les objectifs fixés on m'en assigne d'autres encore plus élevés."
"Il y a déjà xx personnes en arrêt de travail dans mon service. Elles n'ont pas été remplacées bien sûr, on nous a donné leur part de travail."
"On m'envoie des mails/on m'appelle chez moi à 21h/22h/le dimanche (y compris pendant l'arrêt de travail), et je ne peux pas m'empêcher de répondre... Je n'arrive pas à débrancher le portable, à ne pas ouvrir la boîte mail. J'ai mauvaise conscience d'être absent/e, je culpabilise."
"Non non docteur je ne peux pas m'arrêter. Comment vont-ils faire?
-Et si vous aviez eu un accident de voiture?
-Oui je sais mais...
-Ben c'est pareil. Vous n'êtes PAS DISPONIBLE. Vous connaissez l'expression "Les cimetières sont pleins de gens indispensables"?
-Oui docteur, mais vraiment, moi c'est pas pareil.
-Si Si c'est exactement pareil. Vraiment. On va commencer par un arrêt de 2 semaines.
-QUOI deux semaines? Oh non Docteur c'est trop long, vous ne croyez pas qu'une semaine ça suffirait?
-Je suis sûre que non."
Et de fait l'arrêt de 2 semaines n'est que le début d'une série de prolongations qui dureront en général plusieurs mois.

Selon l'intensité des troubles, les désirs du patient, on n'arrive ou pas à gérer la période sans médicaments. Parfois on est obligé de passer par les anxiolytiques +/- somnifères, tant la personne est perturbée dans sa vie quotidienne. Parfois quand les choses sont enkystées on est obligés d'en venir aux anti-dépresseurs. Parfois on arrive à faire sans rien.

Ce sont toujours des consultations longues et éprouvantes. Au minimum 45 minutes d'écoute, de soutien et de dialogue. Démonter l'impression du patient d'être un faible, d'avoir failli parce que "je comprends pas docteur pourtant ce n'est pas mon genre de craquer... J'ai toujours géré/tenu la barque... Je ne pensais pas que ça pouvait m'arriver à moi!"
Oui, jusqu'au jour où. Chacun a ses limites, qu'il/elle rencontre plus ou moins tard.
Je dis toujours à ces patients que je vois des gens dans la même situation qu'eux plusieurs fois par semaine. Ça les étonne mais les soulage de savoir qu'ils ne sont pas seuls.

Je les arrête toujours pour 2 semaines d'emblée, malgré leurs protestations. Au bout des 2 semaines ils reviennent me demander de prolonger... Pendant ces 2 semaines, je leur donne des consignes claires: éteindre le portable professionnel, ne pas ouvrir la boîte mail (ce qui est plus ou moins bien respecté...). Pendant les premiers jours, ne rien faire hormis se reposer. Dormir tout son saoul. Avec cachets si besoin. Si ça doit passer par 24-48h au lit d'affilée, so be it.
Ensuite, utiliser le reste de l'arrêt pour se consacrer à soi. S'occuper de soi, et se faire plaisir. Sortir se promener, faire du sport, du shopping, aller nager, au cinéma, chez le coiffeur ou l'esthéticienne, n'importe quoi du moment que c'est par plaisir.
Ma patiente de ce matin a trouvé son repos dans la cuisine et le jardinage. "Je suis allée au marché, ça faisait des années que je ne l'avais pas fait... J'ai levé les yeux et regardé les arbres, je me suis dit purée ça fait combien de temps que je n'ai pas vu un magnolia en fleur?!"
Les jeunes parents retrouvent le plaisir d'être à la sortie de l'école pour chercher leurs enfants, d'avoir du temps pour jouer avec eux. Ma patiente de ce matin était toute heureuse de me raconter la partie de Monopoly qui avait fait tant plaisir à son fils de 12 ans.

Au bout de quelques semaines, quand la personne a pu lâcher prise, reprendre un peu pied, je commence à les encourager à envisager leur avenir professionnel. En général ils ne peuvent plus concevoir de retourner reprendre leur poste précédent. La plupart du temps, l'employeur bien entendu ne veut pas licencier, et préfère jouer le pourrissement de la situation jusqu'à ce que l'employé démissionne de lui-même. Vient alors le temps des consultations chez le médecin du travail, de l'inspection du travail, parfois des prud'hommes. Certains patients ont facilement des idées de reconversion. D'autres sont tellement vidés qu'ils n'arrivent pas à envisager quoi que ce soit. Certains ont des compétences qui font qu'il est très difficile pour eux d'espérer trouver un autre emploi, surtout en nos temps bénis de pas-très-plein-emploi... Dans ces cas il arrive que la situation stagne pendant des mois et des mois...

Ces patients font partie de nos nombreux contemporains qui sont à la base en bonne santé mais sont rendus malades par la société dans laquelle nous vivons, qui est elle-même malade à un stade avancé.
Je suis maintenant habituée à épauler ces patients, avec plus ou moins de succès, mais je suis toujours impressionnée par les dégâts qu'un travail peut provoquer sur une vie.
J'aimerais que les employeurs comprennent qu'un employé heureux au travail est plus productif qu'un employé pressuré jusqu'à la moelle. J'aimerais faire beaucoup moins de ces consultations de burn-out.

Pour s'informer: http://www.burnout-info.ch/fr/
 Syndrome d'épuisement professionnel sur Wikipedia  (une grosse bibliographie en fin d'article