mercredi 23 novembre 2016

Quand je serai grande, je voudrais être Irène Frachon.

Bon, ce blog commence à sentir le moisi, plus de 8 mois que je ne l'ai pas ouvert... Bon j'avoue j'ai 2-3 trucs sur le feu en ce moment, entre des marmots qui ne veulent pas se coucher, une maison en cours d'achat et un cabinet qui tourne si bien que ça m'en ferait presque peur.
Et puis si je me mets à commenter la situation actuelle, ça risquerait d'être franchement déprimant. Donc je n'avais pas trop d'inspiration ces derniers temps.

Et puis par un hasard miraculeux, j'ai pu m'échapper 2h et aller au cinéma. Et je suis allée voir La Fille de Brest.


Pour ceux du fond qui n'ont pas suivi, ce film d'Emmanuelle Bercot raconte l'histoire du scandale du Mediator qui a éclaté il y a maintenant 7 ans, grâce à la ténacité du Dr Irène Frachon, anonyme (au début) pneumologue au CHU de Brest.

Le sujet n'est peut-être pas hyper fendard vu comme ça, mais j'ai passé un super moment, et ce sont 2h de ma vie que je ne regretterai pas. J'ai reçu ce film comme un coup de poing. Et pourtant je connaissais très bien l'histoire, l'ayant suivie au fil de l'actualité il y a quelques années. Malgré ça, le rythme est soutenu, la narration déroulée comme un thriller, on ne s'ennuie pas une seconde. Les choses sont montrées très crûment, dès les premières minutes du film on se retrouve au bloc opératoire pour une opération à coeur ouvert de remplacement d'une valve cardiaque... Âmes sensibles, le champ opératoire est montré en gros plan... Je ne sais pas d'ailleurs comment ils se sont débrouillés pour filmer ces séquences mais c'est hyper-réaliste. De même plus tard dans le film avec une scène d'autopsie plus vraie que nature... Burp. (D'ailleurs l'avocat qui y assiste dans le film n'y résiste pas...)

Tout le film tourne donc autour du personnage d'Irène Frachon. J'avais déjà beaucoup d'admiration pour le courage de cette femme, mais après ce film, en réalisant ce qu'elle a vraiment traversé pour arriver à faire éclater cette histoire, ce qu'elle s'est pris dans la tronche, j'avoue que je suis vraiment tombée amoureuse. Cette femme est une vraie "emmerdeuse", dans le meilleur sens du terme, du genre qui ne lâche pas le morceau tant qu'elle n'a pas eu ce qu'elle voulait, prête à ruer dans les brancards autant de fois que nécessaire. Tout le contraire de moi en gros... Je rêverais d'avoir le dixième de son audace... Cette femme est notre Erin Brockovich bien de chez nous.
L'actrice qui l'incarne, Sidse Babet Knudssen (que vous avez peut-être déjà vue dans la série Borgen), est tout simplement formidable. (Par contre je doute que dans la vraie vie Irène Frachon jure en danois! 😁). Elle a en tout cas l'énergie nécessaire à faire ressentir la rage qui animait Irène pendant ce combat. Julia Roberts n'étant apparemment pas libre, nous n'avons pas perdu au change!
Le film m'a par contre permis de découvrir le rôle des gens autour d'elle, comme le Pr Le Gal, renommé dans le film Le Bihan (la vache Benoît Magimel il a pris un sacré coup de vieux!!), qui a conduit l'étude cas-témoin qui a permis de mettre en évidence le lien statistique entre Médiator et valvulopathies, ainsi que la jeune doctorante en pharmacie (elle aussi dotée d'une sacrée paire... d'ovaires!) qui a décidé de faire sa thèse sur les dysfonctionnement du système de pharmacovigilance dans l'affaire Médiator. Apparemment elle a eu les félicitations du jury, ce qui me laisse à penser que les jurys de pharmaciens sont peut-être moins frileux que ceux de médecins, quand je me souviens de l'accueil fait à la thèse de Louis-Adrien Delarue sur les conflits d'intérêts des rédacteurs de recommandations de l'HAS... (L'histoire ici)
Le film retrace bien tous les obstacles auxquels elle et ses collaborateurs ont dû faire face, la réticence de l'AFSSAPS de l'époque à bouger le petit doigt (trop occupée à gérer la "crise de la grippe H1N1" mwahaha...), le mépris des Parisiens envers les "petits médecins de province", bretons de surcroît, l'opacité et le cynisme prévalant chez le laboratoire Servier.

Tout au long du film je me suis remémoré mon premier stage en cabinet de médecine générale, en 2009, juste avant l'explosion médiatique de l'affaire, alors qu'une de mes maîtres de stage prescrivait larga manu du Mediator à ses patientes en surpoids. Étant déjà à l'époque lectrice de Prescrire, j'étais au courant des fortes suspicions qui planaient sur ce médicaments, et je m'étais trouvée en position très inconfortable lorsque les patients de ma MSU me demandaient de leur renouveler l'ordonnance...

Voilà, en deux mots comme en mille, j'ai adoré ce film, et Irène Frachon est mon idole!
Je propose d'ailleurs à mon ex-faculté de médecine de renommer l'amphithéâtre qu'ils ont osé nommer "Amphi Boiron" (la honte intersidérale), et de le baptiser "Amphi Dr Irène Frachon"!

Actuellement l'affaire Mediator n'est pas close, puisque le Dr Frachon se bat encore quotidiennement aux côté des victimes dans les procédures d'indemnisation, face au laboratoire Servier qui dispose de cabinets d'avocats entiers pour ralentir les procédures...

Il faudra enfin nous interroger sur ce que nous devons faire pour que de telles affaires ne se reproduisent plus (il y en a encore malheureusement plusieurs en réserve, certaines ont fait parler d'elles depuis, comme la Dépakine aux femmes enceintes par exemple). Des instances de pharmacovigilance vraiment indépendantes, la transparence dans les données des études cliniques, avec la publication de toutes les données et pas seulement celles qui arrangent les labos, une vraie formation des médecins à l'esprit critique, à l'indépendance professionnelle afin qu'ils cessent de se comporter en moutons prescripteurs de l'industrie pharmaceutique, et l'interdiction de la visite médicale seraient à mon humble avis un bon début.
Je ne suis malheureusement pas hyper optimiste face à la force de lobbying de l'industrie pharmaceutique et au poids économique et donc politique des grands laboratoires français...

Ici la Bande-annonce du film. Franchement si vous avez l'occasion, courez-y!

samedi 12 mars 2016

Journée de la Fâme et du foutage de gueule

Le 8 mars, au départ c'est la "Journée internationale des Femmes" selon l'ONU, la "Journée des droits des femmes" selon le gouvernement français. En tout cas, ce n'est PAS, la "Journée de la Fâme" (La Fâme ne veut rien dire), et encore moins celle des récupérations commerciales ou médiatiques idiotes merci.

Genre ça:



ou ça: Concours de repassage par l'ADMR

Non mais seriously l'ADMR, vous avez réfléchi, juste DEUX SECONDES avant de lancer cette idée stupide??

Ou encore ça:

Journée des femmes : arrêtez avec les fleurs et les promos, des droits suffiront

Ou ça: Promo CDiscount Journée de la Femme 

Tout ça c'est juste encore un peu plus de sexisme/business déguisé sous de bonnes intentions.  
Le mécanisme me fait furieusement penser à Octobre Rose et au pinkwashing en fait.

Eh non, messieurs, on va peut-être passer pour des chieuses (mais on a l'habitude), mais on ne veut pas les frais de port offerts, ni une rose à la con, ni une culotte offerte pour l'achat d'un soutien-gorge.


Ce qu'on voudrait par exemple c'est en finir avec les dizaines de milliers de viols annuels (pour ne parler que de la France), avec la culture du viol, avec la culpabilisation des victime ou slut-shaming, avec les peines ridicules que reçoivent les quelques coupables qui terminent devant les tribunaux.
Ce qu'on voudrait c'est qu'au lieu d'apprendre aux filles à ne pas "prendre de risques", on apprenne aux garçons à ne pas violer, à respecter le consentement.
Ce qu'on voudrait c'est ne pas lire en 2016 cette enquête désespérante du Dr Muriel Salmona sur la culture du viol
Un petit exemple?
 

Ce qu'on voudrait c'est en finir avec les 216000 femmes victimes de violences conjugales, les 134 femmes tuées dans le cadre de violences conjugales. C'est que les femmes victimes puissent être vraiment protégées sans être confrontées à un parcours du combattant.
On aimerait ne plus lire "drame familial" quand un homme tue sa femme +/- ses enfants. Genre ça ça s'appelle un féminicide avec quadruple infanticide.

Ce qu'on aimerait c'est ne plus vivre ça. 
Ou ça (pardon pour l'auto-citation...)
Ce qu'on aimerait c'est en finir avec les violences gynécologiques et obstétricales.

Si vous voulez plus d'idée il ya tout ce qu'il faut là, sur RadioFéministe.

Les marques, si vous voulez vraiment faire quelque chose d'intelligent pour le 8 mars, au lieu de faire des promos débiles, interrogez-vous sur votre politique d'entreprise. Les femmes, à poste égal sont-elles payées également aux hommes? Favorisez-vous la conciliation vie perso-vie pro?
Favorisez-vous l'implication des pères auprès de leurs enfants (genre, les pères ont-ils le droit de prendre les jours enfant malade comme les mères)?
Peut-être serait-il bien venu d'organiser des seances de sensiblisation au sexisme ordinaire?
Avez-vous déjà promu des produits ridiculement genrés (et tant qu'à faire, plus chers parce que roses?)
Genre ça:
Eh ouais, mais ça, ça nécessite de remettre en cause toutes les habitudes, c'est vachement plus fatigant que d'offrir 10% aux femmes pendant une journée...
Eh ouais...
Bref, le 8 mars n'est PAS une espèce de 2e Saint-Valentin (elle-même déjà largement suffisamment récupérées à nos dépens)

Pfoulala ces meufs, elles sont jamais contentes...
Bon évidemment je suis pas la première à passer par là... Voilà, Merci! 

Un petit récapitulatif sur http://8mars.info/